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apaiser ; Monsieur… l’attendant pour souper, elle refusa de venir manger avec lui et témoigna son déplaisir hautement par toutes les marques qu’elle en put donner. Le Roi, voyant cette discussion, crut qu’il y allait de son honneur de la faire cesser, et, ayant fait revenir Monsieur et Madame à Versailles[1], il les alla voir l’un et l’autre dans leurs appartemens, et, après bien des allées et venues qu’il voulut bien faire lui-même, il fit en sorte de rapprocher ces deux esprits qui étaient si fort aliénés l’un de l’autre, de manière qu’il les fit embrasser… »

Madame nous a conservé[2] le détail de ces négociations laborieuses. Elle a reproduit ses entretiens avec Louis XIV en français, ce qui nous vaut de précieux échantillons du langage du Grand Roi dans l’intimité. Le Louis XIV qu’elle nous montre est beaucoup plus près de l’humanité que le monarque majestueux qui congédiait sèchement les visiteurs avec, pour toute réponse, son fameux « je verrai. »

Sa belle-sœur l’avait accueilli par une prière « de finir ses jours à Mau buisson. » Requête fort inattendue de sa part ; elle avait les couvens et la vie de couvent en horreur. Le Roi répondit : « Mon frère est dans des sentimens bien différens. Il m’a écrit une lettre par où il me prie de vous parler, et pour vous porter à vous raccommoder avec lui, et je vous avoue que je le souhaiterais de tout mon cœur par l’amitié que j’ai pour vous deux, et je vous assure que je désirerais fort de pouvoir contribuer à vous donner du repos. Car je suis fâché de vous voir si affligée, et j’y prends part[3]. » Madame insista, et termina son plaidoyer par ces mots : « Laissez-moi donc aller à Maubuisson. — Mais, Madame, reprit le Roi, songez-vous bien ce que c’est pour vous que cette vie-là, que vous êtes jeune encore, que vous pouvez avoir bien des années à vivre, et ce parti est bien violent. » Madame lui représenta, et non sans éloquence, qu’elle était « sans secours » contre ses ennemis, qu’ils l’avaient déjà perdue dans l’esprit de Monsieur, « et que sais-je, ajouta-t-elle, si bientôt ils ne vous persuaderont pas aussi. — Non, non, Madame, interrompit le Roi, je suis très persuadé de votre

  1. Le 2 juillet.
  2. Lettre du 19 septembre 1682. Cette lettre, très volumineuse, contenait l’historique de toute l’affaire. Madame l’avait envoyée à la duchesse Sophie par une occasion, de peur du cabinet noir.
  3. Cette dernière phrase a été coupée dans l’édition allemande. Elle est donnée dans Jæglé, I, 37.