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morale. Son agitation, ses plaintes bruyantes et publiques jetèrent Monsieur dans une exaspération qui triompha de sa prudence, et il pria le Roi de faire quelque avanie à Madame. Il fut refusé net. Liselotte dut se coucher, ce soir-là, toute ragaillardie ; son grand ami ne l’abandonnait pas dans ses traverses.

Il la défendait, et il la prêchait, l’adjurant de tenir sa langue et de rester tranquille. Mais on se rappelle le mot de « la bonne Tarente » sur la douceur de « se plaindre à cet aîné. » Liselotte ne résistait pas à l’attrait de cette douceur. Elle aurait dû prévoir que le Roi en aurait vite assez des histoires de Théobon et de Loubes ; elle l’en accabla, si bien qu’un jour, « je trouvai, dit-elle, le Roi tout changé. Quand je lui parlais de mes affaires, il me répondait à peine et m’entretenait d’autre chose[1]. » Elle l’ennuyait. Ce fut le dernier coup. La brouille avec Monsieur suivit de près.

En juin, on eut à Versailles de mauvaises nouvelles de Saint-Cloud. La discorde y était à son comble, et la voix publique reprochait à Mlle de Théobon d’attiser le feu ; elle passait pour une intrigante : « Monsieur, rapporte le marquis de Sourches[2], persuadé, selon toutes les apparences par le chevalier de Lorraine, que Mlle de Théobon,… et le comte de Beuvron, son capitaine des gardes[3], fomentaient la mauvaise intelligence qui était depuis longtemps entre lui et Madame, son épouse, en fit ses plaintes au Roi, et, de son agrément, chassa Mlle de Théobon de sa maison et fit donner ordre au comte de Beuvron de se défaire de sa charge. Il n’y a rien de pareil au chagrin que Madame sentit en cette occasion ; Mlle de Théobon était presque la seule personne en qui elle pût avoir confiance ; aussi l’aimait-elle tendrement, et, comme elle était naturellement fière, elle ne pouvait souffrir qu’on lui enlevât d’autorité la seule consolation qu’elle avait dans ses afflictions. Elle pleura beaucoup et ne cacha ses larmes ni au Roi, ni à toute la Cour. Cependant Monsieur vint trouver le Roi et le pria de le raccommoder avec Madame, lui disant qu’il n’y avait plus d’obstacle à leur réunion, puisqu’il venait d’éloigner ceux qui la détruisaient par leurs mauvais conseils. Mais l’esprit de Madame n’était pas si facile à

  1. Du 19 septembre 1682, à la duchesse Sophie.
  2. Vol. I, 136.
  3. On croyait Mlle de Théobon mariée secrètement au comte de Beuvron. Si ce n’était pas vrai, cela le devint bientôt après, et le mariage fut déclaré en 1686.