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d’un coup Madame et lui adressa une grosse incongruité. Madame riposta du tac au tac, et « sur le même ton, » par une autre incongruité. Le jeune duc de Chartres, — le futur Régent, — se récria de joie et fit chorus, et voilà une conversation de princes, à Versailles, en 1693.

Il va de soi que Liselotte n’apprit jamais à être convenable. Elle en aurait été désolée. Le jour où la duchesse Sophie, devenue vieille, se lassa à son tour des polissonneries et des plaisanteries scatologiques, sa nièce le déplora : « (9 mars 1710.) Je suis fâchée que Votre Dilection ne veuille plus rire de rien d’indécent, car cela entretient la gaieté, et la gaieté entretient la santé et la vie. « 

On ne la vit pas non plus prendre un air dévot, ni feindre de s’intéresser à la maison de Saint-Cyr. L’hypocrisie n’était pas son fait. Dès que Liselotte eut compris que c’en était fini des longues causeries, tête à tête, à l’ombre des forêts, qu’elle ne verrait plus le Roi qu’en public et de loin, elle jugea duperie de s’exposer tout le long du jour aux méchancetés de « la cabale, » qui lui attirait des affaires en dénaturant ses paroles et en interprétant malicieusement ses actes. On la vit se terrer au beau milieu de la cour de France, trouver le moyen de vivre « en ermite » dans le palais de Versailles ou à Saint-Cloud. Quand le Dauphin, à défaut du Roi, ne l’emmenait pas à la chasse, ou qu’elle n’était pas commandée pour figurer avec les autres princesses dans quelque divertissement, Madame s’enfermait chez elle, toute seule, de peur d’être accusée d’intrigues secrètes. Cette idée peu banale lui était venue dans l’année qui suivit le « savon » de 1685 ; elle en fait part à sa tante, qui certainement ne l’admira point, dans une lettre datée de Saint-Cloud, le 18 mai 1686 : « Je ne joue pas. Je me tiens dans mon cabinet, où je suis bien tranquille. Jusqu’à 1 heure où l’on se promène à pied ou en voiture, je lis, j’écris, je regarde des gravures, quelquefois je range mes armoires, et j’ai beau être seule toute la journée, je ne m’ennuie jamais, et j’ai au moins la consolation, si je suis privée de société, d’être sûre qu’on n’interprétera pas mes paroles en mal, et de ne pas voir les espions qui vous regardent sous le nez pour deviner ce que vous pensez, selon la mode actuelle. »

Elle soutint son personnage d’ermite ou, plutôt, d’ours dans sa tanière, jusqu’à la mort de Louis XIV, c’est-à-dire tout près