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« (5 juillet 1683.) Je suis fâchée que vous n’ayez pas vu Madame. Je ne doute pas que Leurs Altesses n’eussent tout fait pour vous obliger. J’espère que la maladie sur laquelle elle s’est excusée aura un bon motif. » Impossible de se faire illusion ; Liselotte était bien résolue à ne se laisser ni exploiter, ni même déranger. On a hâte de la voir plus à son avantage.

Nous arrivons ici à l’une des plus vilaines pages de l’histoire de France. L’incendie du Palatinat est pour nous une honte si grande, qu’on souffre à en parler, et l’on ne peut cependant s’en dispenser dans une biographie de la princesse Liselotte, prétexte innocent et témoin désespéré de la ruine barbare de sa patrie. Son contrat de mariage est à l’origine des abominations de 1689. On se souvient qu’elle y renonçait à ses droits successifs sur « les biens souverains et féodaux… se réservant seulement ses droits sur… les allodiaux de sa maison[1]. » Ce furent ces derniers mots qui ouvrirent la porte aux difficultés.

Charles-Louis avait réglé sa succession dans le testament dont nous avons déjà parlé : « Nous ordonnons et voulons en premier lieu que nos joyaux, peintures, chevaux, artillerie, munitions de guerre, bibliothèque et tous autres meubles qui nous sont avenus et arrivés de feu nos ancêtres ou que nous avons acquis ailleurs, quelque nom qu’ils puissent avoir, appartiendront et demeureront, en tant que nous n’en avons pas disposé ou que nous n’en disposerons pas autrement, à notre fils et successeur Électoral, et après son décès à ses hoirs mâles, et au défaut d’eux à ses filles, et lors qu’il n’y en aura point à sa sœur germaine, notre fille Elisabeth-Charlotte et à ses hoirs. Excepté néanmoins la bibliothèque, artillerie et munitions de guerre, qui demeureront à la maison Electorale. »

Le testament assurait encore à Liselotte sa dot, sa part « d’ameublemens »

  1. A. N., K. 542, no 9. Voyez le texte complet dans la Revue du 15 août 1907, p. 809. — En quoi consistaient au juste les « allodiaux ? » La question est très difficile ; le mot allodial avait plusieurs sens, selon les pays et les époques. En France et au XVIIe siècle, l’expression d’allodiaux désignait généralement les « francs-alleux, » c’est-à-dire les terres exemptes de droits seigneuriaux. Mais elle avait aussi désigné plus anciennement l’ensemble des biens compris dans la succession, ou ceux que le propriétaire du moment avait recueillis par succession, et Louis XIV cherchait à tirer parti de ces deux derniers sens. (Cf. le Recueil des instructions données aux ambassadeurs, etc., publié par le ministère des Affaires étrangères : Bavière, Palatinat, Deux-Ponts, éd. par A. Lebon ; p. 395 et 401. — Paris, 1889). En Allemagne, il existait des formes d’allodiaux que nous n’avions pas en France ; de là des complications à l’infini.