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création dans le lointain, et, par tous les pores, j’aspire la vie incommunicable, ineffable. » Qui le retrouverait surtout dans ce fragment de son journal écrit la veille de sa consécration : « Arrière donc les imaginations de la sagesse humaine ! Arrière ces théories mortes et menteuses qui rêvent une vertu sans rapports avec Dieu et une religion sans croyance au Crucifié ! Loin de moi toute science, toute poésie, toute spéculation qui s’éloigne de la parole divine ! Je veux être petit enfant ; je veux amener toutes mes pensées captives, sous l’autorité de la Bible et de la Croix. Je veux être de ceux dont il est dit : « Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! » Je veux être, s’il le faut, en folie et scandale aux sages de la terre. Je ne veux connaître que Christ et Christianisme. C’est dans ce sentiment, ô mon Dieu, que je veux me consacrer au service de ton Église, résolu à te crier sans cesse : « Aie pitié de moi ! Aie pitié de moi ! » Tel était le Scherer que Gréard a révélé, sinon à quelques initiés, du moins au grand public, et dont il complète le portrait en citant plusieurs strophes d’un cantique dont il est l’auteur, cantique bien connu de tous les fidèles de l’Église protestante, et dont je ne veux détacher que cette strophe :


J’errais perdu dans les sentiers du doute,
Le vide au cœur et la mort devant moi,
Lorsque tu vins resplendir sur ma route,
Je suis à toi, je suis à toi.


Gréard nous conduit ensuite à Genève où Scherer est chargé, dans cette noble école de l’Oratoire qui s’était ouverte en face de la Faculté nationale de théologie, d’une chaire d’histoire religieuse. Professeur ardent et convaincu, il croit avoir trouvé sa vraie voie. Ses cours rassemblent de nombreux auditeurs. Mais, au bout de deux ou trois ans d’exercice, ce sont les matières mêmes de son enseignement qui font naître les premiers doutes en lui, et nous le voyons parti de la croyance à l’inspiration littérale des Écritures, de ce qu’on appelle, dans une langue spéciale, la théopneustie, mettre peu à peu en doute d’abord l’autorité absoïtie des livres saints, puis leur authenticité, puis la divinité de Jésus-Christ, puis, successivement, et comme entraîné par une sorte de fatalité logique, toutes les doctrines philosophiques sur lesquelles l’humanité a si longtemps vécu : l’existence de Dieu,