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Gréard nous le montre dans cette phase, tantôt étudiant en théologie, s’agenouillant au chevet d’une jeune fille condamnée à une mort prochaine, se joignant à elle dans une fervente prière et reportant souvent sa pensée « avec un mélange de tristesse et de joie à celle qui reposait sous les ombrages de la vallée, en attendant le jour de la résurrection ; » tantôt, devenu pasteur, séjournant quelques jours dans une ville d’Allemagne où l’on se propose de fonder une petite société de fidèles, déconcertant, tout d’abord, par sa froideur ceux qui le reçoivent, mais leur donnant, au bout de quelques jours, l’impression « d’une suavité, d’une délicatesse extrême qui le rend humilié et tremblant dans les circonstances où il doit agir, et d’une âme épurée, raffinée, mais surtout vraie et solide, de sorte que sa tristesse attire et édifie ; » enfin, le jour où il s’adresse à la communauté réunie, « produisant par sa figure jeune, douce et grave, par ses grands yeux mouillés de larmes, par sa pâleur qui disparaissait par degrés, par ce sentiment profond qu’il était là, de la part de Dieu, et pour sa gloire, un effet qui ne se pouvait rendre et qui éblouissait comme une vision ; » tantôt enfin, professeur à Genève, commençant sa leçon par une prière prononcée d’une voix lente, et, lorsqu’il traitait de l’éloquence de la chaire (qu’il devait qualifier plus tard de genre faux et usé), mettant au premier rang des qualités nécessaires : l’onction.

De libérales communications ont permis à Gréard de nous montrer chez le Scherer de cette époque des dons littéraires ignorés. Qui reconnaîtrait, en effet, le critique un peu froid du Temps, pour qui les idées pures semblent seules exister, dans des effusions de cette nature : « Le délicieux renouveau, écrivait-il, au mois d’avril. Je ne sais s’il est un oiseau sur la branche, un cœur d’homme sous le ciel qui en jouisse autant que moi. C’est pourvoi une intensité de sensation et de bonheur que de voir le firmament bleu au-dessus de ma tête. J’en jouis, comme on jouit de toute passion, avec jalousie. Non seulement la pensée des jours de pluie et de froidure qui peuvent revenir et qui reviendront assurément m’afflige sérieusement, mais je me reproche de ne pas jouir plus pleinement de ce qui m’est accordé. Je prends un livre, puis je le pose parce qu’il me distrait de ma jouissance. Enfin, je crois avoir trouvé le bon moyen : je m’étends sur le gazon, les yeux tournés vers le ciel, le bourdonnement de l’abeille autour de moi, les mille bruits de la