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les bonnes volontés refroidies, donner à tout le monde un peu de force morale et, s’il est possible, un peu de bonheur. »

Ces « pauvres gens » qu’il avait, suivant les cas, consolés, raffermis, encouragés, réchauffés, n’avaient jamais oublié ce qu’ils lui devaient. La fidélité de leurs souvenirs apparut à tous les yeux le jour de ses obsèques. Elles furent simples et silencieuses ; ce qu’elles eurent de frappant ce ne fut pas l’affluence des notabilités littéraires ou politiques, — ce serait plutôt le contraire, — c’est le grand nombre d’inconnus et d’inconnues à la mise modeste, dont le visage affligé exprimait un regret sincère. Se conformant, non point à sa volonté formellement exprimée, mais à ce qu’elle savait être son désir, sa famille a exigé qu’aucune voix ne s’élevât au bord de sa tombe. Le bruit s’était répandu qu’une exception, d’avance autorisée par lui, permettrait à quelque représentant de l’Etat de rendre justice à ses longs services. Il n’en fut rien, mais il vaut mieux qu’il en ait été ainsi. En effet, si le ministère de l’Instruction publique avait seul parlé pendant que l’Académie française et l’Académie des Sciences morales se taisaient, il eût semblé qu’on rendît les derniers devoirs seulement à un grand fonctionnaire, et celui qui eut, devant l’Académie des Sciences morales, à rendre hommage à sa mémoire se serait senti moins à son aise pour dire qu’à ses yeux le serviteur des bonnes lettres était supérieur au serviteur de l’Etat, et que ni au serviteur de l’Etat, ni au serviteur des lettres, les circonstances m’ont permis de donner toute leur mesure.


HAUSSONVILLE.