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et à intriguer contre son dernier allié. A la République de Venise en particulier, avec laquelle il n’était pas en relations diplomatiques régulières, pour une question de cérémonial, mais où il entretenait des agens secrets, il faisait dire « qu’il seroit toujours bon Italien et que ses engagemens avec l’Empereur n’empêcheroient pas qu’il ne fît connoître ses sentimens lorsque l’occasion le demanderoit[1]. »

Ainsi, préludant déjà au rôle que devaient jouer un jour ses successeurs, Victor-Amédée commençait à la sourdine à se poser en champion de l’indépendance italienne. La diplomatie de Louis XIV, toujours à l’affût de tous les incidens dont elle pouvait tirer parti, conçut l’espoir de mettre à profit cette faute de l’Empereur. On résolut à Versailles d’envoyer en Italie un ambassadeur ou plutôt un plénipotentiaire chargé d’une mission secrète et qui aurait pour instructions de chercher à réunir dans une ligue contre l’Empereur les Républiques de Gênes et de Venise, les princes italiens, et jusqu’au Pape lui-même.

Après avoir hésité entre le maréchal d’Estrées et Saint-Simon, qui prétend s’être défendu d’accepter, le choix du Roi s’arrêta sur notre vieille connaissance Tessé. Il est probable que ce choix fut en partie dicté par la pensée qu’il ne serait peut-être pas impossible de faire entrer dans cette ligue le duc de Savoie lui-même, et que Tessé, ayant réussi une première fois, quelque vingt ans auparavant, à le détacher de l’alliance impériale, aurait, plus que tout autre, chance d’y réussir une seconde. En effet, une bonne partie des instructions que Tessé emportait avec lui était consacrée à lui tracer la ligne de conduite qu’il devait suivre vis-à-vis du duc de Savoie[2]. Ces instructions lui prescrivaient de chercher à Gênes ou ailleurs des gens capables d’insinuer au duc de Savoie combien serait pour lui précaire et illusoire la possession de cette partie du Milanais qui lui avait été cédée par le traité du 8 novembre 1703, si l’Empereur en conservait la plus grande partie et devenait ainsi le proche voisin de la Savoie. Les instructions faisaient ressortir le danger de ce voisinage et d’un conflit entre la Savoie et l’Empire où Victor-Amédée serait écrasé. « La ressource de ceux de

  1. Recueil des Instructions données aux ambassadeurs et ministres de France, Savoie, Sardaigne et Mantoue, t. I, p. 262.
  2. Id., ibid., p. 259 et suiv.