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Mais, que pouvais-je opposer aux doutes du Roi ? Rien, Madame, car vous ne m’aviez rien dit. Ma conviction personnelle ne pouvait être d’aucun poids. J’ai été forcé de laisser le Roi dans la plénitude de son doute.

Ne croyez pas cependant, Madame, qu’il soit dans l’intérêt de Charles X de flétrir la veuve de son fils, la mère de son petit-fils ; non, il ne se montre jaloux que de votre honneur de veuve, et de mère. Le Roi a pu désapprouver ce mariage fait à son insu, et a pu même s’en irriter, mais, aujourd’hui, il ne demande qu’à mettre sa conscience en repos et votre honneur à l’abri.

Tandis qu’il parlait, La Ferronnays voyait la princesse pâlir, rougir, pleurer, mais elle ne l’interrompait pas. Il put remplir son devoir jusqu’au bout.

— Que voulez-vous que je fasse ? dit-elle enfin. Puis-je envoyer ce titre original qui, devant les tribunaux, serait ma condamnation[1] ?

— Non, Madame, je suis le premier à dire à Votre Altesse qu’elle ne doit, en aucun cas, s’en dessaisir. Seule la conscience du Roi veut être rassurée. Il n’y a à sa demande aucun autre mobile. Si le Roi pouvait acquérir la certitude du mariage de Votre Altesse, sans qu’elle se dessaisît de l’acte original, sans même qu’elle en donnât une copie. Votre Altesse verrait-elle quelque danger pour elle, ou pour ses intérêts, à satisfaire le Roi ?

— Quel moyen pouvez-vous donc imaginer, puisqu’on se refuse à croire à ma parole ? dit-elle, cherchant à deviner la pensée de La Ferronnays.

— Le Roi ne croit pas à votre parole, Madame, parce que vous ne la lui avez pas donnée.

— Mais je vous répète que je suis mariée. L’acte est à Rome entre les mains du Pape.

— Eh bien ! Madame, si un homme honoré de votre confiance et de celle du Roi, si M. de Montbel se rendait à Rome, vous refuseriez-vous à ce que le dépositaire de votre acte de mariage lui en donnât communication, ou du moins, lui en certifiât

  1. Le ministre des Finances avait dans ses archives les titres de propriété de plusieurs forêts appartenant à la succession du Duc de Berry. La princesse comme tutrice de ses enfans réclamait ces titres que le gouvernement refusait de lui rendre sous prétexte qu’elle était remariée. — Voyez Thirria, p. 246.