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belle et noble figure, musicale et dramatique, — de héros. Ses débats avec Pluton sont d’un lyrisme oratoire, mais aussi mélodique et chantant, que de mâles harmonies soutiennent et renforcent encore. La mesure, changeante et souple, y suit et pour ainsi dire y épouse le contour sinueux du discours. La forme, verbale et vocale, est un peu nue et très pure. Mais elle s’enveloppe et s’enrichit dans le magnifique air avec chœur, où Pluton et sa cour appellent, contre l’audacieux qui les brave, et l’Averne et le Ténare, le Cocyte et le Phlégéthon. La quadruple invocation topographique, poussée, fouettée par un trait de violons circulaire, s’enroule et se déroule sur un rythme assez rare dans l’ouvrage. Il tourne, il tourbillonne, et, comme les fleuves invoqués, semble tracer autour de l’Enfer une ceinture de feu.

Avec autant d’énergie, autant de noblesse, Thésée reprend la parole. Et cette fois, sur ces mots d’abord : « Dieux ! que d’infortunés gémissent dans ces lieux ! » et puis, et surtout dans la pathétique invocation à Neptune, une note inattendue et furtive de sensibilité se mêle à l’éloquence du héros et, sans l’amollir, sans l’efféminer, la détend et nous attendrit. Mais déjà la force, presque la rudesse, reparaît. Le trio des Parques, — on devrait écrire des Parcs, au masculin, puisque Rameau les a faites hommes, — trio vocal et presque symphonique aussi, met la dernière touche, et non la moins vigoureuse, à ce tableau d’un éclat sobre et sombre, d’une âpre et dure majesté.

Rien n’est aussi beau, surtout rien ne l’est aussi longtemps dans le reste de l’ouvrage. Quelques traits néanmoins, de force ou de grâce, n’y sont pas sans beauté. L’insipidité, l’impertinence dramatique des innombrables divertissemens en compromet gravement la valeur musicale, mais n’arrive pas à la détruire tout à fait. Drue et gaillarde, purement française et gauloise, cette musique a de quoi se défendre et résister. Il y a là, disait encore le neveu de Rameau, « des airs de danse qui dureront éternellement. » Ce sera par leur franchise, leur gaieté robuste sans trivialité, leur précision élégante et spirituelle, quelquefois même, — oh ! rarement (chœurs et ballets de la chasse), — par quelque chose qui ressemble à de la poésie, mais à cette poésie qu’un Allemand, à propos de musique aussi, a su définir : « Oui, » écrivait Henri Heine, parlant de l’opéra-comique, « cette dernière (la poésie) n’est pas absente ; mais c’est une poésie sans le frisson de l’infini, sans charme mystérieux, sans amertume, sans ironie, sans morbidezza, je dirais presque une poésie jouissant d’une bonne santé. »

Rien de plus vrai. Ce charme mystérieux, ce frisson de l’infini, la