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En d’autres temps le Roi aurait peut-être accueilli avec un certain dédain des ouvertures faites par des personnages aussi secondaires et provenant d’un prince aussi artificieux. Mais l’heure des dédains et des hauteurs était passée. Les conférences de Gertruydenberg avaient été rompues au mois de juillet précédent. Tout espoir d’arriver à la paix générale semblait écarté. Sans doute, traiter séparément avec le duc de Savoie, c’était un peu se raccrocher aux branches ; mais on ne pouvait cependant oublier que c’était par un traité séparé et secret qu’on était parvenu à le détacher de la ligue d’Augsbourg, et le procédé auquel il avait recours en s’adressant à Berwick par l’intermédiaire du procureur Laurent et du père Arnaud rappelait celui dont il s’était servi en s’adressant à Tessé par l’intermédiaire de Groppel. Il ne fallait donc pas négliger cette ouverture. Aussi Torcy répondait-il à la lettre de Berwick par une longue dépêche où, tout à la fois, il le mettait au courant d’une situation diplomatique que Berwick aurait pu ignorer et il lui donnait des instructions sur la manière de négocier avec le duc de Savoie, « Il y a plus d’un an, disait Torcy, que M. le duc de Savoie sait que le Roi est disposé à traiter avec lui et à lui donner les moyens qu’il peut désirer pour la conservation des pays que ses alliés lui ont cédés, pour l’augmentation de sa puissance et pour la splendeur de sa maison. En effet, monsieur, Sa Majesté lui offroit, et le roi d’Espagney auroit consenti, de le maintenir dans la possession de la partie du Milanais dont il jouit présentement, de le rendre maître de celle que l’Empereur s’est réservée, de le reconnoître en qualité de roi de Lombardie, de lui donner, pour agir sous ses ordres, une partie de l’armée que vous commandez et d’y joindre encore des subsides proportionnés à ceux qu’il reçoit de ses alliés. »

Berwick était autorisé à renouveler ces offres, et non seulement Louis XIV ne demandait plus, comme il l’avait fait autrefois, la cession de la Savoie en compensation des agrandissemens considérables dont Victor-Amédée allait profiter, mais prévoyant que celui-ci demanderait à conserver les deux places d’Exilles et de Fenestrelles, en ce moment occupées par lui, il autorisait par avance Berwick à « relâcher ces deux places assez inutiles, » non sans lui recommander cependant de paraître « surpris que M. le duc de Savoie veuille s’agrandir aux dépens de Sa Majesté dans le temps qu’elle ne songe qu’à lui procurer de nouveaux