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pitié du coupable, et, livrant Boris au remords, à l’agonie, elle le fait excusable, intéressant et presque mystérieusement sacré.

Enfin, et nous terminons par là, ce grand musicien de drame et d’histoire, du peuple et de la patrie, est encore un grand musicien religieux. Un admirable sentiment liturgique anime tel ou tel épisode : une prière de la foule, une brève homélie de pèlerins. La cellule de Pimène, que les chants du monastère enveloppent d’un halo mystique, est l’un des plus pieux asiles où l’âme de la solitude, de la prière et de la méditation ait jamais soupiré. Le récit du moine, au dernier acte, baigne dans une lumière et dans une paix surnaturelle. Ainsi la dureté, la cruauté du drame s’atténue, et sur toutes les violences, toutes les horreurs de la terre, comme au-dessus des champs de bataille que Tolstoï a décrits, le ciel étend à l’infini sa douceur et sa pureté.

Chef-d’œuvre national, populaire et religieux, chef-d’œuvre simple, primitif même, et puissant, et nouveau par cette primitive simplicité, si nous en ramassons tous les traits, il nous faudra convenir que depuis longtemps un coup aussi retentissant n’avait été frappé à notre porte et que nous n’avions reçu de personne d’aussi hautes et salutaires leçons.

Que les serviteurs du maître, comme le maître lui-même, nous enseignent. Ce fut plaisir de les entendre, de les voir le servir tous, tous égaux, tous émules par la conscience et par le zèle, par le dévouement, ou la dévotion. Du premier au dernier, il semble que ni la voix, ni le talent ne leur manque. Pas un n’est insuffisant, peut-être parce que pas un n’est indifférent. Chacun fait de son mieux tout ce qu’il doit faire, et la plus noble fâche, comme la plus humble, est par eux accomplie avec amour. Ce qui « saute aux yeux » d’abord, après l’exacte magnificence des costumes authentiques, après le style des décors, éclatant, mais volontairement sommaire et libre, analogue à celui de la musique même, c’est « l’action » des chœurs, ou leur jeu. Ce qui saute, si j’ose dire, aux oreilles, c’est la pureté juvénile et la fraîche splendeur de leurs voix, la fermeté rythmique, la justesse musicale, autant que dramatique de leur chant.

Dirigé par M. Félix Blumenfeld, kapellmeister de l’Opéra impérial de Pétersbourg et musicien consommé, l’orchestre de notre Opéra ne pouvait, pour exécuter un ouvrage inconnu, trouver une direction plus intelligente, plus remarquable par la finesse autant que par l’énergie.

C’est un ténor délicieux, à la voix chaude, claire, et comme italo-slave,