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que M. Smirnow (le faux Dimitri). M. Kastorsky chante, joue et vit avec une sérénité noble, impassible, le rôle du moine Pimène. Il n’est pas jusqu’au vieux Chouïsky, — je vous répète que pas un n’est médiocre, — dont M. Altchefsky ne trace une silhouette saisissante. Et les quatre rôles féminins, de moindre importance, furent tenus excellemment, surtout celui de la Niania. Enfin je ne sais trop que dire, ou plutôt j’aurais à dire trop du héros de ces inoubliables soirées, de M. Chaliapine. A-t-il une voix magnifique, un extraordinaire talent de tragédien et de chanteur ? Peut-être, et même, entre nous, je le crois. On ajoute, plus brièvement, qu’il a quelque chose comme du génie. Et cela, j’en suis sûr.


Il me reste peu de place pour vous parler, ou vous reparler de Snegourotchka, déjà présentée naguère aux lecteurs de la Revue. En peu de mots, qu’en dirais-je ? Toujours la même chose, parce que c’est toujours la même chose : une chose délicieuse, comme Boris en est une colossale.

Dans la Russie non plus de l’histoire, mais des contes et des rêves, il y avait une fois une belle et froide enfant. Elle se nommait Snegourotchka (la fille de neige). Son père était le bonhomme Hiver et sa mère la fée Printemps (en russe, la saison capricieuse est femme). Ses parens l’avaient élevée dans la solitude et dans la froidure, parce que l’Été jaloux s’était juré de la tuer en la faisant fondre sous le premier rayon de soleil et d’amour qui toucherait son front et son cœur. Mais un matin l’enfant souhaita de quitter sa retraite et d’aller vivre de la vie humaine. Elle avait entendu les chansons d’un berger, elle l’avait aperçu lui-même, le beau Lel, jouant avec des jeunes filles, et ces jeux, et cette voix avaient troublé son âme. Ne pouvant plus retenir leur fille, l’Hiver et le Printemps la confièrent à des paysans qui demeuraient aux portes de la ville.

Alors commença pour elle un étrange et mélancolique destin, fait de son désir et de son impuissance d’aimer. Elle souhaita vainement l’amour du berger mélodieux. C’est un autre qu’elle charma. Un jeune et riche marchand, Mizguir, trahit pour elle Koupawa, sa fiancée. Celle-ci, maudissant le parjure, s’en vient demander justice au vieux tsar bienveillant et doux, gardien des promesses d’amour. Et Mizguir pour sa défense, ne trouve que ces mots : « Ah ! Tsar, si tu voyais Snegourotchka ! » La voici, l’enfant de neige, et le vieillard, la voyant si belle, s’afflige qu’elle soit insensible. Aussitôt il décide de tenir et de présider le soir même, dans la forêt, une sorte de cour d’amour, une