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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/929

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grand succès des « lectures » de ses œuvres. Au sortir d’une de ces séances, il revint, en proie à une étrange exaltation. Il avait remarqué au premier rang de son auditoire une jeune fille et tout de suite il l’avait reconnue. « C’est elle, disait-il. Je l’attends depuis si longtemps ! Je n’ai lu que pour elle. Ma vie lui appartient. » Il la dépeignit : on alla aux informations. C’était une étrangère, une Norvégienne ; elle voyageait avec sa mère ; elle était blonde, elle avait dix-sept ans ; elle s’appelait Ouldine.


Enfant blonde aux doux yeux, ô rose de Norvège
Qu’un jour j’ai rencontrée aux bords du bleu Léman,
Cygne pur émigré de ton climat de neige,
Je t’ai vue et je t’aime ainsi qu’en un roman.


Il se fit présenter, rendit quelques visites, repartit. Mais il emportait l’image de ce sourire et le son de cette voix. L’absence tue un caprice, augmente une passion. Et c’était bien la passion qui s’était emparée du poète. Il avait beau se dire que cette sœur d’Ophélie était presque une enfant pour lui qui n’était plus un jeune bomme, et qu’il la connaissait à peine, et qu’elle était sans doute fort différente de l’idéal qu’il s’en faisait. Mais c’était elle, ce n’était pas son propre rêve qu’il aimait en elle : il la voulait telle qu’elle était. Il la revit au printemps dans quelque station de la Côte d’Azur. Il s’énervait : des amis lui conseillèrent d’aller trouver la mère et de faire sa demande. Il y alla. Ce fut un désastre, un soudain et irrémédiable écroulement :


Rempli de joie et de courage,
A fonder mon nid je songeais.
Mais un furieux vent d’orage
Vient d’emporter tous mes projets.


Que s’était-il passé ? Une scène d’une horreur comique et qui noyait le roman dans le ridicule. Aux premiers mots s’était découvert un effroyable malentendu. La mère d’Ouldine, qui avait été belle en son temps et ne se résignait pas que ce temps fût passé, avait pris pour elle les assiduités du poète. En découvrant sa méprise, elle était entrée en fureur. Cris, injures : le pauvre amoureux fut ignominieusement chassé. Comme il passait le seuil pour la dernière fois, à ses pieds un bouquet de violettes tomba : c’était l’adieu d’Ouldine.


Je n’ai rien d’elle qu’une fleur.


Mais que signifiait-il, ce bouquet jeté ? Pitié indifférente ou regret d’un amour partagé ? Le poète n’en a jamais rien su :