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Moi, j’ignore s’ils ont pleuré
Les charmans yeux de violette.


Les yeux charmans avaient gardé leur secret : l’inconnue était restée la mystérieuse. Longtemps la blessure saigna : des vers écrits bien plus tard attestent que le souvenir ne s’effaça jamais. Toutefois ce souvenir, pour douloureux qu’il fût, ne se mêlait pas d’amertume. Ni faute, ni trahison, rien de matériel, rien qui accusât l’humaine faiblesse. Le poète emportait, intact, son grand amour et il en allait faire de petites chansons. Aucun recueil, en effet, plus que l’Exilée, ne fait songer à l’Intermezzo. Il met dans notre poésie une note presque unique. L’ardeur voluptueuse des Intimités ne pouvait avoir une plus exacte contre-partie que ces soupirs de pure tendresse. Ainsi Coppée a su dire avec une égale intensité les deux amours.

Nous avons voulu parcourir d’abord entièrement ce joli coin de l’œuvre de Coppée, non le plus fréquenté aujourd’hui : les vers d’amour. Il nous faut maintenant revenir en arrière. On voyait dès les premiers recueils du poète s’annoncer une autre veine et se dessiner un autre filon. Le Reliquaire à côté des élégies maniérées et des fantaisies baudelairiennes, contenait une pièce d’un genre tout différent : « Une sainte. « On y disait le dévouement de la grande sœur restée orpheline avec un petit frère, enfant débile, dont elle est la seule protection. Elle l’a soigné ; elle l’a disputé à la mort qui devait quand même être la plus forte ; et maintenant elle vieillit seule au monde. Dans les Poèmes divers, voici les aïeules, ces vieilles qu’on voit en juillet, dans les campagnes, le menton branlant, se chauffer au soleil, devenues indifférentes à toutes choses, car elles en ont tant vu de choses et de si tristes ! Dans les Intimités se détache un tableau de banlieue : une grande rue où des boutiquiers prennent le frais sur le trottoir, tandis que leur fille joue aux grâces avec son prétendu. C’est cette autre sorte d’inspiration qui, peu à peu, va se développer au point de se substituer presque entièrement à l’autre. Par elle, Coppée se montrera tout à fait lui-même et révélera son véritable fond. Car ce qu’il avait mis dans ses premiers vers, ce n’était certes pas une personnalité d’emprunt, mais c’était un moment de sa sensibilité, moment délicieux — à condition d’être bref.

Coppée a compris l’urgence d’échapper à ces langueurs morbides de la prime jeunesse. Donc il va sortir de lui, prendre les sujets de ses vers dans les épisodes de vie dont il a été le témoin, dans les tableaux qui ont frappé ses yeux. Mais il n’a rien vu ce petit bourgeois