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celui de Zola lui-même. Mais peut-être sera-t-il plus heureux qu’il ne le mérite : la cérémonie du 5 juin, qui a déjà rencontré tant d’indifférence, tombera bientôt dans l’oubli.


Nous souhaiterions qu’il en fût de même du rachat de la compagnie de l’Ouest dont la discussion se poursuit en ce moment même devant le Sénat. La grande majorité de l’assemblée y est contraire. Si elle était livrée à elle-même, le résultat ne ferait pas l’ombre d’un doute : le rachat serait repoussé. Mais, à côté de la question économique et financière, la seule ici qui devrait entrer en ligne de compte, il y a la question ministérielle, et cela change les conditions du problème. Le ministère a engagé son amour-propre à faire voter le rachat de l’Ouest, et il met une sorte de forfanterie à vaincre quand même les résistances qu’il rencontre. Le Sénat est donc placé dans une pénible alternative : on le condamne à voter une mesure qu’il désapprouve, ou à renverser un Cabinet qu’il aimerait mieux laisser vivre. Dans le secret de sa pensée, il en veut au gouvernement de lui imposer cette épreuve. Le rachat de l’Ouest n’est pas une de ces questions auxquelles il est naturel et légitime qu’un ministère attache son existence, mais bien une de ces questions de politique courante qu’il faut laisser aux Chambres la liberté de résoudre dans un sens ou dans l’autre, suivant leur conscience. Partir de là pour poser la question de confiance, c’est-à-dire pour exercer sur elles une pression d’autant plus désobligeante à leurs yeux qu’elles en voient moins l’intérêt, est une véritable atteinte à leur dignité. Si, en pareil cas, une Chambre se révolte, le gouvernement doit s’en prendre à lui et non pas à elle. Mais le Sénat se révoltera-t-il ?

On pourrait le croire après avoir entendu les discours de MM. Waddington, Viger et Denoix, qui ont combattu le projet avec beaucoup de chaleur et d’éloquence. M. Waddington est assurément un des hommes les plus laborieux et les plus sérieux du Sénat, en même temps qu’un des moins accessibles aux considérations étrangères à la question qu’il traite ; il est libéral et indépendant ; il vote avec le ministère quand il juge que le ministère a raison, mais ne lui est nullement inféodé ; il n’appartient à aucun bloc. MM. Viger et Denoix sont sensiblement plus à gauche ; en temps ordinaire, ils votent avec le gouvernement ; l’opposition énergique qu’ils ont faite au projet de rachat n’en a été que plus remarquée. M. Viger n’a pas hésité à dire que le projet de loi était une concession au collectivisme : n’étant pas collectiviste, il ne le votera pas. Quant à M. Denoix, dans un discours