Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/955

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vif, sensé, mordant, il s’est étonné qu’un gouvernement qui a tant de peine à lutter contre les sollicitations parlementaires, c’est-à-dire électorales, et qui, en réalité, finit toujours par leur céder, ne conserve pas entre elles et lui l’utile, le précieux, l’indispensable tampon des compagnies de chemins de fer. Cet instrument de protection paraît merveilleux à M. Denoix, qui s’oppose à ce qu’on le brise. On le regretterait le lendemain sans aucun doute, mais en vain : une fois brisé, aucune main ne serait capable de le restaurer. Les collectivistes le savent bien, et c’est pourquoi ils font tout au monde pour rébrécher, en attendant mieux.

Ce reproche d’avoir présenté le projet de loi pour complaire aux collectivistes devait être sensible au gouvernement. C’est le premier que M. le ministre des Travaux publics a essayé de repousser, mais il y a insuffisamment réussi. M. Barthou a beaucoup de talent. Le Sénat, qui ne l’avait pas encore entendu dans une discussion aussi importante, aussi longue, aussi complexe, a été frappé de la souplesse de sa parole, de la clarté de sa méthode, de la fertilité de ses ressources : on sentait pourtant, dans l’assemblée une résistance intellectuelle qui, nous le croyons bien, s’est plutôt affermie qu’elle ne sest atténuée, à mesure que l’orateur, habile et disert, développait ses argumens. M. Barthou ne pouvait développer que les argumens de sa thèse, et ils sont faibles. En ce qui concerne le reproche de complaisance à l’égard du collectivisme : — Eh quoi ! a-t-il dit peut-on soupçonner M. Clemenceau de faire le jeu de M. Jaurès ? — On a ri, mais on n’a pas été convaincu. Alors M. Barthou, s’appuyant de l’autorité d’un homme dont la compétence dans les questions de chemins de fer est incontestable, a lu une citation de M. Golson d’où il résulte que l’administration directe des chemins de fer par l’État n’est pas nécessairement œuvre collectiviste. Sans doute, et personne ne le nie. Lorsqu’on voit, en Allemagne par exemple, les chemins de fer administrés par l’État, il ne saurait venir à l’esprit de qui que ce soit d’accuser le gouvernement impérial d’avoir fait par là une concession au collectivisme. Il a fait, en réalité, une œuvre de forte concentration politique et nationaliste en vue de fortifier et d’assurer l’unité de l’Empire. Et puis, l’Allemagne est un pays quasi féodal, autoritaire et caporaliste, qui n’a aucune peine à résister aux suggestions parlementaires et électorales auxquelles le nôtre, au contraire, succombe déplorablement. Il ne s’agit pas de savoir si, dans d’autres pays, l’exploitation directe par l’État peut se produire sans inconvéniens, mais de pressentir les effets