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pour qu’ils gouvernent l’indignité de ces multitudes abandonnées ou trompées dont les hommes se crient l’un à l’autre cet évangile nouveau de leur nouvelle religion : que le faible agisse suivant son pouvoir et le méchant suivant son plaisir[1] !


Car « le devoir des hautes classes, c’est de maintenir l’ordre dans le peuple inférieur et de l’élever à un niveau de vie aussi proche du leur qu’il est capable d’atteindre. Toujours, s’ils s’acquittent de ces fonctions, les dirigeans gagneront le respect et l’amour des dirigés, en même temps qu’eux-mêmes parviendront au plus haut degré de force et de beauté humaine[2], » à cette perfection et cette dignité du corps qui distinguent les vrais ἀριστοι. « Tels étant le rôle et l’état naturel d’une aristocratie, sa corruption, comme de toute belle chose qu’a touchée la main du diable, est singulièrement redoutable. Elle se produit lorsque ceux qui devraient être gouvernans et conducteurs du peuple abandonnent leurs tâches de peine et d’honneur pour ne plus que jouir et dominer, lorsqu’ils appliquent tout leur pouvoir, — intelligence cultivée, influence, prestige ancestral, ressources matérielles, forces militaires, — à faire travailler à leur place les gens du peuple, à se faire par eux gratuitement vêtir et nourrir, à se les soumettre, à les posséder comme des choses ou du bétail, jusqu’à perdre tout sentiment de la souffrance qu’inflige une si insolente domination et du crime qu’ils commettent en l’imposant[3]. »

De là les anarchies modernes, car le crime des maîtres fait l’indiscipline de la multitude ; « devant leur égoïsme et leur négligence elle a perdu l’habitude et jusqu’à la faculté du respect[4], » la plus respectable de l’homme, la plus nécessaire à son bonheur et à sa dignité. C’est alors que désorganisé, avili, le peuple s’est changé en populace, celle qui devant toute grandeur et toute beauté ne sait rien que haine, faim et convoitise. « Il a trop bien compris que les chefs en lui imposant toutes les tâches se réservaient tous les profits, que ce qu’ils entendent par gouverner, c’est porter de beaux habits et bien vivre du produit de son labeur. A mesure que son lumineux esprit découvrait ces vérités, il se révélait moins disposé à supporter

  1. Crown of Wild Olive, § 138, 139.
  2. Time and Tide, § 138.
  3. Ibid., § 139.
  4. Crown of Wild Olive, § 137.