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C’est lui qui commande les troupes de Bijapour, qui, en 1638, s’emparèrent de la plus fameuse entre les forteresses du Carnate. Mais les vainqueurs ne gardèrent pas paisiblement leur conquête.

La mort du grand Tiroumale Najaka de Madura fut le signal de nouveaux troubles. Une tradition fabuleuse, brahmaniste par ses tendances, entoure cette mort des circonstances les plus singulières. Outrés de la faveur où le Najaka tenait le Père Robert de Nobili, le célèbre jésuite qui évangélisa le Maduré, les Brahmes auraient muré Tiroumale dans le souterrain où reposaient ses trésors, et il y serait mort de faim.

Jusqu’à la destruction des dynasties musulmanes du Carnate et du Deccan par l’empereur Aureng-Zeb, en 1687, une anarchie sans frein se déchaîne dans la péninsule. Elle redouble à la mort du Najaka Chokhanata : gens de Bijapour, Mysoriens, Mahrattes luttent comme au hasard, s’arrachent des lambeaux de provinces, tuent, pillent, incendient, rançonnent. Dans ces luttes stériles tourbillonnent les innombrables escadrons des Mahrattes et les épais bataillons des Maures, avec les mercenaires : Afghans, Béloutchis, Arabes, aventuriers d’Europe qu’accompagneront par la suite des Abyssins et des nègres. Impossible de savoir au compte de qui chacun travaille sur le pays, dépecé et pantelant. Sectateurs de l’Islam ou de Brahma, chrétiens, dépouillent et brûlent à l’envi les pagodes. Il n’est petit chef de bande, chétif roitelet, qui ne tienne son parti, depuis le setupati Sambuji de Genji jusqu’au Bhonsla Ekoji, qui fonde à Tanjore une principauté mahratte.

Le Najaka Ranga Krischna bat les Mysoriens, rétablit l’ordre dans le Maduré, mais c’est pour un temps bien court. Quand il meurt en 1689, tout retombe dans le désordre. La régente Mangamal, qui lui succède à Madura, est emportée dans la tempête. La légende de sa mort fait le pendant à celle du grand Tiroumale, mais elle est plus vraisemblable. Cette princesse, qui semble s’être signalée beaucoup plus par sa tolérance que par sa fermeté, périt victime des Brahmes. Ils lui reprochaient sa bienveillance à l’égard des missionnaires catholiques dont l’influence allait croissant. Sans doute la princesse se refusa-t-elle à quelqu’une de ces exécutions dont le supplice du Père Brito dans le Travancore peut être pris pour exemple. Les Brahmes perdirent Mangamal dans l’esprit du jeune prince Vijiaga Ranga Chokanatha. Et quand il monta sur le trône, en 1704, son premier