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futur vainqueur de Valmy, Dumouriez, alors ministre des Affaires étrangères, l’avait chargé, à la fin de mars précédent, de négocier une alliance défensive avec le gouvernement britannique Talleyrand était allé en Angleterre essayer de s’entendre avec George III et son ministre William Pitt. Sa qualité d’ancien membre de la Constituante l’empêchant d’être investi de fonctions officielles, il avait fait donner le titre de ministre plénipotentiaire au marquis de Chauvelin, — un tout jeune homme de vingt-cinq ans qui s’était jeté impétueusement dans le mouvement révolutionnaire, — et il l’avait emmené avec lui. Tous deux avaient, à Londres, travaillé de leur mieux ; ils y avaient obtenu un demi-succès. George III, après avoir repoussé l’alliance offerte, s’était laissé arracher une déclaration de neutralité[1]. C’était beaucoup : les flottes anglaises n’iraient point assaillir nos côtes pendant que les armées de l’Europe continentale envahissaient nos frontières. À Paris, on avait rendu justice à la « sagesse » et à la « dextérité » des négociateurs. Le ministre leur avait témoigné sa « satisfaction, partagée avec enthousiasme, disait-il, par l’Assemblée nationale[2]. » Un important journal, la Chronique de Paris du 1er juin, avait conclu un article d’éloges par ces mots : « Ce premier succès, dû à la conduite sage et mesurée de M. de Talleyrand et de M. Chauvelin, doit leur mériter la reconnaissance des bons citoyens. »

Talleyrand était satisfait ; et comme, juste à ce moment, le portefeuille des Affaires étrangères passait des mains de Dumouriez en celles du marquis Scipion de Chambonas, — celui-là même qui, maire de Sens en 1789, eut son heure de célébrité pour avoir proposé de dresser dans sa ville un obélisque égyptien où seraient gravés les noms des représentans de la Nation, — il avait demandé un congé de quinze jours, afin de venir à Paris prendre langue avec le nouveau ministre et le mettre au courant des affaires anglaises. La réponse tardait un peu. Tout à coup, une nouvelle, colportée par les gazettes, se répandit à Londres. Le 20 juin, l’émeute avait été maîtresse dans Paris. Pour protester contre le veto qu’opposait le Roi à la déportation des prêtres insermentés et à la formation d’un camp de 20 000 fédérés sous les murs de la capitale, les Girondins avaient

  1. Proclamation du 25 mai.
  2. Le ministre à Chauvelin, 2 juin 1792. Voyez Pallain, La Mission de Talleyrand à Londres en 1792, p. 334.