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organisé une journée. La populace hurlante avait d’abord défilé au pied de la tribune de l’Assemblée. Puis, brandissant des sabres, des piques, des fourches, roulant à sa suite des canons, braillant le Ça ira sinistre, elle avait envahi les Tuileries, pénétré dans les appartemens royaux. Louis XVI, — M. Veto, — était dans la grande salle de l’Œil-de-Bœuf : on défonce la porte, on le trouve presque seul, on l’accule dans une embrasure de fenêtre, on le coiffe d’un bonnet rouge, et, pendant des heures, en face de cet homme sans défense et toujours impassible, lâchement, les énergumènes, poings levés, vocifèrent, bafouent, menacent... Et le maire de Paris, le ridicule Pétion, avait laissé faire... L’effet fut terrible en Europe. A Londres particulièrement, les ennemis de la France triomphèrent ; ses amis les plus chauds furent atterrés et révoltés. « Les détails qui sont parvenus ici, mandait à la Gazette universelle son correspondant anglais, sur les événemens qui se sont passés à Paris dans la journée du 20, ont rempli d’indignation toutes les âmes honnêtes et sensibles, même les plus violens partisans de la Révolution française. » D’autre part, sous la dictée de Talleyrand qui voyait compromise son œuvre d’apaisement, Chauvelin écrivait au ministre : les événemens survenus, « en présentant sur la France des idées bien différentes de celles que nous cherchions à inspirer, » ont « fait en quelque sorte rétrograder dans l’opinion publique la Révolution française. Les personnes les mieux intentionnées pour nous en ont été consternées. En même temps qu’on admire la fermeté avec laquelle le Roi a maintenu et préservé le pouvoir que lui donne la Constitution, on croit voir dans ce qui s’est passé l’effet d’une désorganisation. » Ces lignes sont datées du 5 juillet. Le soir de ce même jour, Talleyrand, muni enfin de l’autorisation de son ministre, se mettait en route pour la France.

A Paris, lorsque Talleyrand y arriva, c’était l’anarchie et déjà la terreur. Les événemens se succédaient brutalement. Pour exalter les passions, l’Assemblée déclarait la patrie en danger. Le ministre Chambonas tombait, dénoncé par Brissot ; Du Bouchage le remplaçait par intérim, puis Bigot de Sainte-Croix lui succédait. Mais, dans la bataille suprême qui se livrait, qui donc songeait aux affaires d’Angleterre ? A qui même en parler ?

Chose plus grave pour Talleyrand : sous les assauts furieux des Jacobins, le Conseil constitutionnel du département de Paris,