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prêt « à servir[1]. » L’accueil fut sans doute froid, car, le 18 septembre, dans une lettre à son ami Radyx Sainte-Foy, il décochait au diplomate improvisé une pointe : « Noël est ici en bien mauvaise posture. Il n’a pas trop laissé échapper les occasions de faire des sottises. » Talleyrand profita de la circonstance pour donner à Sainte-Foy, qu’il savait être un familier de Danton, quelques indications sur les dispositions du gouvernement britannique, et, à propos de la marche de Brunswick en Champagne, il glissa cette déclaration de patriotisme : « Quand on est Français, on ne peut pas supporter l’idée que des Prussiens viennent faire la loi à notre pays. »

Le 18 septembre également, dans le même désir de paraître, Talleyrand offrait à lord Grenville ses services officieux :


Je tiens beaucoup à ce que vous sachiez, lui écrivait-il, que je n’ai absolument aucune espèce de mission en Angleterre, que j’y suis venu uniquement pour y chercher la paix et pour y jouir de la liberté au milieu de ses véritables amis. Si pourtant mylord Grenville désirait connaître ce que c’est que la France en ce moment, quels sont les différens partis qui l’agitent, et quel est le nouveau pouvoir exécutif provisoire, et enfin ce qu’il est permis de conjecturer des terribles et épouvantables événemens dont j’ai été le témoin oculaire, je serais charmé de le lui apprendre...[2].


À ces avances, il ne semble pas que lord Grenville ait répondu.

Sans être découragé, Talleyrand se rejeta vers Lebrun. Ne lui devait-il pas des remerciemens pour son passeport ? Et l’occasion était bonne, en lui envoyant du même coup quelques renseignemens et quelques conseils, de bien montrer qu’on pouvait encore l’employer avec fruit :


Je suis arrivé, Monsieur, à Londres, samedi dernier[3], à l’aide du passeport que vous m’avez accordé et dont j’ai de nouveau l’honneur de vous remercier. Comme je n’étais chargé d’aucune mission après en avoir exercé une, j’ai dû le dire en arrivant, et les papiers publics l’ont annoncé en prêtant chacun à mon voyage des motifs au gré de leurs opinions ou de leurs préjugés, ce qui est assez indifférent. J’ai écrit à mylord Grenville ; mes anciennes relations avec lui et son caractère très loyal m’en faisaient un devoir. Je voulais aussi lui apprendre que j’étais ici sans caractère ni mission, et en même temps je tenais à me conserver auprès de lui en bonne attitude pour pouvoir être utile à mon pays... Tout ce que, dans les conversations,

  1. Noël à Danton, 14 septembre. Archives nationales, AF II, 63.
  2. Voyez sir Bulwer, Essai sur Talleyrand (traduction Perrot), p. 131-136.
  3. Le 15 septembre. Il est à noter que Noël dit avoir vu Talleyrand le 14.