Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

Le retour de Talleyrand à Londres y fit du bruit. Vers le même temps, arrivaient des fugitifs de marque : Mathieu de Montmorency, Stanislas de Girardin, Beaumetz, Jaucourt, arraché par Mme de Staël aux prisons de l’Abbaye quelques heures seulement avant les massacres ; l’ex-constituant d’André qui, en ouvrant à Paris une épicerie, n’avait pas désarmé les soupçons démocratiques et que la haine de Brissot forçait à l’exil ; Montrond et la duchesse de Fleury, d’autres encore. C’était tout le groupe de ceux qui avaient épousé avec une sorte d’enthousiasme la Révolution commençante et qui, à présent, brisaient avec elle pour ne pas être brisés par elle.

Que signifiait cette émigration nouvelle ? Les hypothèses allaient bon train. Chacun, sans trop savoir, disait son mot. Le Morning Chronicle, organe des Anglais amis de notre Révolution, inséra, le 18 septembre, cette note qui avait l’allure d’un communiqué :


Messieurs de Talleyrand-Périgord, de Montmorency, d’André, de Jaucourt, Beaumetz, Le Chapelier et plusieurs autres ont été tous obligés de chercher ici un asile contre la furie de cette faction qui, maintenant, en France, viole tout principe de justice et d’humanité. Leur seul crime semble être de s’être contentés d’abolir les abus de l’ancien gouvernement et d’y substituer une libre monarchie, et de n’avoir pas voulu coopérer à établir l’anarchie et la proscription sous le nom de République. On peut conjecturer ce qu’on doit attendre de cette Révolution républicaine d’après cette seule observation qu’elle commence par l’assassinat, l’emprisonnement ou l’exil de tous les hommes distingués dans leur pays par leur talent et leur patriotisme.


Que Talleyrand fût lui-même l’auteur de cet entrefilet, comme se l’imagina Chauvelin[1], c’est fort possible. Il ne se résignait pas à n’être à Londres rien, — rien qu’un émigré sans fortune. Il voulait bon gré mal gré, en agitant la presse, en s’imposant de force, retrouver au moins l’apparence d’une mission officielle qui le décorât et le protégeât. Dès le 14 septembre, au débotté, il avait couru chez le nouvel envoyé de la France, — son propre successeur, — le grammairien Noël, pour lui dire qu’il était

  1. Noël à Lebrun, 18 septembre. Affaires étrangères, Angleterre, 582, pièce 85.