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d’autres encore. Ils se défendirent hardiment, et ce fut le dénonciateur qu’on arrêta.

Que le coup dirigé contre le ministre girondin eût échoué, pour Talleyrand la chose importait peu. Son cas n’en devenait pas meilleur. Ainsi que l’écrivait une Anglaise de ses amies, « M. de Talleyrand comptait retourner bientôt en France et y arranger lui-même ses affaires : il devra maintenant se contenter d’être en vie. Quant à ses biens, hormis ceux qu’il peut posséder dans d’autres pays, il les perdra tous[1]. » La révélation de l’armoire de fer avait renversé, comme un château de cartes, tout l’échafaudage d’habiletés grâce auxquelles il s’était flatté de quitter la France sans émigrer.

Talleyrand ne voulut pas cependant s’avouer tout de suite vaincu. Son secrétaire, Des Renaudes, était à Paris : dès le 15 décembre, il réussit à glisser dans la Gazette nationale une note en faveur de son maître. Adroitement, il faisait valoir que, parmi « les papiers impurs » de l’armoire de fer, on n’avait pas trouvé une ligne de Talleyrand. Bien mieux : le citoyen Lebrun a entre les mains la correspondance adressée par Talleyrand à Lessart, les preuves de sa complicité avec le château devraient y éclater ; eh bien ! que le ministre « déclare… s’il n’est pas vrai que c’est la correspondance la plus franchement, la plus vigoureusement patriotique qui existe dans ses bureaux, sans aucune exception. » Enfin, ajoutait Des Renaudes, « le jour même où le décret d’accusation a été rendu…, le ministre Lebrun et un membre du Comité diplomatique ont dû recevoir de Talleyrand un Mémoire politique dont toutes les vues appartiennent aux principes les plus purs de la Révolution. » Talleyrand, de son côté, avait sauté sur sa plume. « Je n’ai jamais eu, proclama-t-il lui-même dans la Gazette nationale du 24 décembre, aucune espèce de rapports, directs ou indirects, ni avec le Roi, ni avec M. Laporte. » Il aurait été sage de s’en tenir à cette négation : il alla plus loin, trop loin. Dans son ardeur à se laver de tout soupçon, il prétendit expliquer comment l’intendant de la liste civile avait pu écrire sa phrase ; il entra dans des détails si abondans, si précis, qu’ils sont à eux seuls un aveu[2].

  1. Diary and letters of Madame d’Arblay, London, 1847, t. V, p. 376. Mrs Phillips à miss Burney, 16 décembre 1792.
  2. J’ai dit dans mon livre, Talleyrand évêque d’Autun, p. 280-291, quelles avaient été les relations de Talleyrand avec la Cour aux mois d’avril et de mai 1791.