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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/176

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— Ni la lettre de Talleyrand à la Gazette nationale, ni une réclamation qu’il adressa directement à la Commission des vingt et un[1], ni le plaidoyer, ni les démarches de Des Renaudes[2], ne firent revenir la Convention sur son décret d’accusation.

Pendant ce temps, à Londres, les esprits se montaient de plus en plus contre les Français. On savait que des agens occultes du gouvernement de Paris, et surtout des émissaires des clubs jacobins, parcouraient le pays, prêchant la révolution aux comités insurrectionnels d’Irlande et aux sociétés démocratiques d’Ecosse et d’Angleterre, promettant des subsides, même, assurait-on, distribuant des armes ; et comme, dans une ville, on avait planté un arbre de la liberté, dans une autre, promené le drapeau tricolore, ailleurs, porté des toasts aux Droits de l’homme ou banqueté en l’honneur de Valmy ; comme des orateurs populaires s’écriaient qu’il fallait abattre la Tour de Londres, ainsi qu’à Paris on avait fait de la Bastille, les fidèles sujets du roi George voyaient déjà leur pays prêt à s’embraser. La propagande française soufflait sur le feu naissant : guerre à la propagande française ! Aussi, lorsque Pitt déposa à la Chambre des lords un projet de loi, — l’alien bill, — dont l’objet était de fermer la Grande-Bretagne aux armes et aux munitions envoyées du dehors, de faire surveiller rigoureusement par la police les étrangers et, au moindre prétexte, d’autoriser leur expulsion, l’opinion publique presque tout entière fut avec lui. Les lords votèrent la loi. A la Chambre des communes, Fox présenta en vain quelques objections ; Burke, brandissant un poignard au milieu de l’émotion générale, prononça son mot fameux : « Préservons nos esprits des principes et nos cœurs des poignards français ! Sauvons nos biens dans la vie et nos consolations dans la mort, les bénédictions du temps et les promesses de l’éternité ! » Et, dans les premiers jours de janvier 1793, l’alien bill devint applicable.

  1. « Réclamation de Talleyrand-Périgord contre le contenu en une lettre de Laporte, » reçue à la Commission des vingt et un, le 21 décembre 1792. Il m’a été impossible de retrouver aux Archives nationales cette pièce signalée dans le Quatrième recueil des pièces imprimées d’après le décret de la Convention nationale du 5 décembre 1792, t. III, p. 174.
  2. « Mémoire justificatif pour Talleyrand-Périgord, ancien évêque d’Autun, signé D. » Cette pièce fut remise sur le bureau de la Commission des vingt et un, le 18 janvier 1793. Arch. nat., G. 219 (16013’7). j)es Renaudes parle des efforts qu’il fit pour obtenir le retrait du décret d’accusation dans une note publiée par le Moniteur universel du 17 fructidor an III.