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Précisément à la même époque, des bruits malveillans couraient sur Talleyrand ; on insinuait qu’il s’était lui-même fait décréter d’accusation à Paris afin de donner le change aux défiances des Anglais et de travailler chez eux plus à l’aise à la propagande révolutionnaire. Qu’allait penser, qu’allait faire le gouvernement britannique ? Talleyrand ne laissa pas à l’accusation le temps de se formuler : pour l’écraser dans l’œuf, il marcha au-devant. Le 1er  janvier 1793, il adressait au Conseil du Roi une note détaillée. Après y avoir rappelé les missions que lui avait confiées Louis XVI, il exposait les raisons de son nouveau séjour à Londres.


Je suis venu en Angleterre, déclarait-il, jouir de la paix et de la sûreté personnelle à l’abri d’une constitution protectrice de la liberté et de la propriété. J’y existe, comme je l’ai toujours été, étranger à toutes les discussions et à tous les intérêts de parti, et n’ayant pas plus à redouter devant les hommes justes la publicité d’une seule de mes opinions politiques que la connaissance d’une seule de mes actions. Outre les motifs de sûreté et de liberté qui m’ont ramené en Angleterre, il est une autre raison, très légitime sans doute, c’est la suite de quelques affaires personnelles et la vente prochaine d’une bibliothèque assez considérable que j’avais à Paris et que j’ai transportée à Londres.


Il ajoutait :


Devenu en quelque sorte étranger à la France, où je n’ai consente d’autres rapports que ceux… d’une ancienne amitié, je ne puis me rapprocher de ma patrie que par les vœux ardens que je fais pour le rétablissement de sa liberté et de son bonheur[1].


En même temps qu’il rédigeait cette note, il voulut, par précaution, se ménager un abri, au cas où le Cabinet de Saint-James le chasserait du sol britannique ; il sollicita du grand-duc de Toscane l’autorisation de se retirer dans ses États, mais, de ce côté, il se heurta à un refus[2].

Après toutes ces alertes, Talleyrand passa quelques mois tranquilles. Le gouvernement britannique paraissait ignorer sa présence, et il put organiser sa vie d’émigré. Tantôt à Londres, dans sa petite maison de Woodstock Street, tantôt à la campagne, chez des amis, il employait ses matinées à prendre des notes sur les événemens quotidiens. Ses après-midi étaient

  1. Pièce publiée par Bulwer, Essai sur Talleyrand, p. 136-139.
  2. Pallain, la Mission de Talleyrand à Londres en 1792, p. XXIX.