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ses conquêtes amoureuses, cherche moins les douceurs de l’amour que les satisfactions de son amour-propre.

Mais on défigure ces romans en les simplifiant ainsi : dans leurs quelque cent ou cent cinquante pages, ils enferment la matière de plusieurs volumes, et il est difficile à une première lecture de s’y sentir à l’aise. Sauf les Mémoires du comte de Comminges, ils se développent tous sur triple ou quadruple plan. Le Siège de Calais est le chef-d’œuvre du genre : sur le devant de la scène, M. de Canaple et Mme de Granson traînent leur languissante histoire d’amour ; derrière eux milord Arondel et Soyecourt se disputent Mlle de Roye ; M. de Chalons fait sa cour à Mlle de Mailly ; M. de Mailly épouse Mme du Boulay ; Clisson et Mauny enlèvent Mlles d’Auxi et de Liancourt. Cette complication, qui pourrait croître à l’infini, est rendue plus gênante encore par le manque de concentration dans l’intérêt et de relief dans les personnages. Le roman va et vient au gré d’une fantaisie dont on ne surprend point le secret ; c’est pour ainsi dire aux dernières pages que l’histoire principale parvient à émerger hors du fouillis des anecdotes adjacentes. Pour se retrouver en ces dédales, les noms seuls des personnages offrent une prise à la mémoire. Les personnages eux-mêmes, tous « bien faits, « avec des « figures régulières, » « pleins d’agrémens et de charmes particuliers (sic), » se suivent indiscernables en une longue théorie grise. Les paysages où ils se meuvent apparaissent rarement, et n’ont ni plus de couleur, ni plus de variété : il y a « le bois de haute futaie, » solitaire et silencieux, les rochers « escarpés et arides, » qui « répandent une certaine horreur conforme à l’état des âmes » désespérées ; il y a encore le jardin, moins « horrible, » où l’amante rêveuse promène le soir sa « langueur négligée ; » voilà bien, je crois, les seuls décors qui soient parfois tendus derrière les acteurs. L’archéologie et le sens historique de Mme de Tencin apportent quelque gaîté parmi tout cet ennui : plus généreux que le roi Edouard, elle laisse la vie sauve aux Bourgeois de Calais qui « reçoivent un traitement digne de leur vertu. » Les rudes barons de la guerre de Cent ans badinent chez elle comme des courtisans de Versailles ; ils vont au tournoi avec des devises d’un pétrarquisme adorable ; ils tiennent salon, et y parlent sur un ton très « régence » de leurs maîtresses et de l’amour, qui est pour eux « une espèce de ridicule ; » ils craignent surtout « qu’on ne les soupçonne d’être