Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il prenait pour donner à ses galanteries un air cavalier ; c’était comme s’il m’eût dit : Je vous conseille de m’aimer, » etc. Ces mots ont besoin d’être remis en leur place pour prendre toute leur valeur. On en goûte mieux alors l’élégance un peu précieuse et le raffinement parfois trop subtil. Qu’on lise surtout les Malheurs de l’amour. Ce n’est point un chef-d’œuvre, mais c’est une œuvre bien distinguée. Le lecteur moderne n’y sera point choqué par des anachronismes ou des travestissemens ridicules. L’» histoire » en est absente, et les invraisemblances plus discrètes. L’intérêt dramatique y est médiocre, presque nul ; mais, au contact des événemens, la mélancolie amoureuse y prend toutes les nuances, et la courbe des sentimens instables y est suivie d’un trait léger, délicat et sûr.

Ce qui lasse vite l’attention, c’est que nulle part on ne sent le frémissement personnel d’un tempérament ou d’un caractère. Les ingénieuses formules où se résume une situation sont des formules générales qui peuvent servir pour tous les cas analogues, abstraction faite des individus ; c’est la théorie ou, si l’on veut, la casuistique de l’âme, ce n’en est pas la vie : « Si je voulais me laisser aller aux réflexions, écrit quelque part Mme de Tencin, cette matière m’en fournirait beaucoup ; mais elles seraient également inutiles à ceux qui sont capables d’en faire et à ceux qui n’en font jamais. » Supprimant donc toutes les réflexions particulières comme « inutiles, » elle n’a cru devoir garder que les réflexions d’intérêt universel. Ainsi toute sa psychologie tend à se resserrer et à s’aiguiser en sentences ou principes généraux. Qu’on se rappelle les formules que je viens de citer ; une très légère retouche les transforme en maximes : « Il y a des gens auxquels il ne manque, pour avoir de l’esprit et du mérite, que la nécessité d’en faire usage. » — « A de certains momens, on préférerait être moins aimé, pourvu que celui qu’on aime se montrât plus digne de l’être, etc. » Mais voici des « maximes » qui ne se déguisent pas. Elles sont nombreuses, et point niaises : « On se persuade, quand on est riche, que les talens s’achètent comme une étoffe. » — « L’amitié devient bien faible quand on commence à être occupé de sentimens plus vifs, et si elle reprend ses droits, ce n’est que lorsque le besoin de confiance la rend nécessaire. » — « Les femmes, en général, ont toujours de l’indulgence pour tout ce qui porte le caractère de tendresse, et les dévotes en sont encore plus touchées que les autres. » — « Dès