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Tencin « se donna de grands mouvemens, » sollicita toutes ses relations, écrivit coup sur coup trois lettres à Richelieu pour qu’il mobilisât toutes leurs troupes de Versailles. La victoire lui resta : « Marivaux fut élu unanimement. » Dans cette lutte académique, elle combattait autant contre Voltaire que pour Marivaux. Elle n’aimait point Voltaire : tante de d’Argental et amie intime de Richelieu, elle ne pouvait sans doute déclarer une guerre ouverte à un adversaire dangereux, au reste fort galant et même déférent ; mais elle n’avait grande tendresse ni pour sa politique, ni pour son esprit. Elle lui en voulait de ne s’être pas enrôlé dans le parti du cardinal. Quand il obtint sa mission secrète en Prusse, elle fut d’abord ironique pour le négociateur improvisé ; puis, craignant que cette amusette diplomatique ne cachât quelque machination contre son frère, elle essaya de le gagner à elle en gagnant la Du Châtelet. Cette « singulière créature)» l’amusait beaucoup ; sa passion pour Voltaire lui paraissait ridicule : « Elle est plus folle et plus perdue d’amour que tous les romans ensemble ; il faut en avoir pitié. » Néanmoins, comme cette « folle » pouvait être utile, elle la caresse et « lui fait amitié. » Vaines cajoleries ! La Du Châtelet et son ami restaient « esclaves du Maurepas. »

Avant même que Voltaire fût devenu une manière d’ambassadeur, elle goûtait peu son talent. Dès 1731, elle lui avait conseillé, — suprême affront, — de renoncer au théâtre « pour lequel il n’était pas fait. » Voltaire lui avait répondu par Zaïre. Le demi-échec de Mahomet fit sa joie. Lorsqu’on 1744 Richelieu demanda au poète un divertissement de Cour, elle servit d’intermédiaire pour faire plaisir au duc, mais avec un très médiocre entrain : « Vous aurez du plus mauvais, si vous voulez exiger de Voltaire du plaisant ; souvenez-vous, s’il vous plaît, que l’esprit prend toutes sortes de formes, excepté la gaieté... Je crains fort que Voltaire n’ait pas fait de bonne besogne ; je crois que d’Argental même n’en est pas content. Pour moi, je n’en ai rien vu. Vous sentez que mon avis, attendu les beaux esprits qui m’entourent, n’aurait aucun poids sur Voltaire. » La Princesse de Navarre fut reçue fraîchement à la Cour. On ne manqua pas d’en rire à la rue Saint-Honoré. Piron avec quelque irrévérence laissa la comédie de Voltaire sur la chaise percée de Mme de Tencin. Je croirais volontiers qu’elle ne protesta pas, ni « ses beaux esprits » non plus. Aucun d’eux n’était sympathique