d’esprit, et plus encore la femme de sens : « A votre âge, lui dit-elle, on peut faire de bons vers, mais non une bonne comédie ; car ce n’est pas seulement l’œuvre du talent, mais aussi de l’expérience. Vous avez étudié le théâtre, mais, heureusement pour vous, vous n’avez pas encore eu le temps d’étudier le monde. On ne fait point de portraits sans modèles. Répandez-vous dans la société ; l’homme ordinaire n’y voit que des visages ; l’homme de talent y démêle des physionomies. Et ne croyez pas qu’il faille vivre dans le grand monde pour apprendre à le connaître. Regardez bien autour de vous ; vous y apercevrez les vices et les ridicules de tous les états. A Paris surtout, les sottises et les travers des grands se communiquent bien vite aux rangs inférieurs, et peut-être l’auteur comique a-t-il plus d’avantage à les y observer, par cela même qu’ils s’y montrent avec moins d’art et des formes, moins adoucies. Dans chaque époque, il y a dans les mœurs un caractère propre et une couleur dominante qu’il faut bien saisir. Savez-vous, ajoute-t-elle, quel est le trait le plus marqué de nos mœurs actuelles ? — Il me semble, répond le jeune auteur un peu embarrassé, que c’est la galanterie. — Non, c’est la vanité. Faites-y bien attention, vous verrez qu’elle se mêle à tout, qu’elle gâte tout ce qu’il y a de grand, qu’elle dégrade les passions, qu’elle affaiblit jusqu’aux vices. M. de Marivaux que voilà a dévoilé avec un art infini dans ses comédies comme dans ses romans toutes les ruses de l’amour-propre : il s’est fait un genre, et c’est celui d’un homme de beaucoup d’esprit ; mais il est trop fait pour les gens d’esprit, et les effets de la comédie doivent être plus populaires. Attachez-vous à relever les ruses ou plutôt les bêtises de la vanité : c’est une passion bien plus comique ; et si le théâtre peut en corriger une, c’est celle-là. Le ridicule en est le véritable antidote, car rien n’est plus misérable que la vanité démasquée. »
Ainsi elle conservait dans son salon ce besoin de diriger qui lui rendait si attirante et si douloureuse la vie politique. Elle complotait une élection académique comme le remplacement d’une maîtresse royale : c’était encore une façon de goûter la joie du pouvoir. Elle livra sa plus rude bataille pour Marivaux son vieil anii. Mme du Châtelet, M. de Mirepoix et quelques hauts courtisans faisaient campagne pour Voltaire qui se présentait au même fauteuil ; le Roi lui-même semblait oublier l’impiété des Lettres philosophiques et promettre son consentement. Mme de