Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

spéciale, et elle y était seule : elle administrait mal, elle était au-dessous de ses affaires, elle serait certainement bientôt dans l’impossibilité d’acquitter sa dette envers l’État, situation dont celui-ci devait se préoccuper, ou plutôt à laquelle il devait pourvoir dès aujourd’hui. Mais de cette compagnie on ne pouvait pas conclure à une autre, encore moins à toutes les autres, et l’idée d’un rachat général ne s’était jamais posée. Voilà ce qu’avait soutenu M. Barthou. Mais un peu après lui M. Caillaux, prenant la parole à son tour, n’avait pas hésité à déclarer qu’aucune compagnie de chemin de fer n’arriverait au terme normal de sa concession, et que, un peu plus tôt, un peu plus tard, elles seraient toutes rachetées. La raison qu’il en donnait est que nous étions emportés par un mouvement plus fort que toutes les volontés : il en jugeait évidemment d’après la sienne. Lequel des deux ministres fallait-il croire ? Le Sénat n’en savait rien : de là l’anxiété avec laquelle attendait la réponse de M. Barthou à la Compagnie d’Orléans. Il n’a pas attendu longtemps. Après avoir lu la lettre de la compagnie, M. Barthou a lu la réponse qu’il y avait faite. C’était un refus catégorique de rouvrir les négociations. Ainsi, M. Barthou avait dit deux ou trois jours auparavant qu’il les reprendrait s’il croyait qu’elles dussent aboutir, et, quand on lui en a apporté la certitude, il s’est obstiné à ne pas les reprendre. En cela, il s’est rangé à la thèse de M. Caillaux. Ce n’était plus, en effet, le rachat considéré comme une mesure de préservation et de conservation qu’il proposait au Sénat, mais le rachat pour lui-même, considéré comme la première application d’une doctrine qui en aura sûrement beaucoup d’autres.

A partir de ce moment, le Sénat n’avait plus d’excuse de ne pas savoir où on le conduisait. Si M. le ministre des Travaux publics avait voulu seulement redresser orthopédiquement le réseau de l’État, le compléter, lui donner une conformation meilleure, le faire accéder à Paris par une ou par plusieurs gares, il aurait trouvé pleine satisfaction dans la proposition de la Compagnie d’Orléans. Le réseau de l’État est mal fait ; tout le monde en convient ; il le doit à son origine qui a été tout empirique ; et quand on lui reproche toutes les infirmités on médiocrités dont il souffre, ou plutôt dont souffrent ses cliens, on répond pour lui qu’il est victime d’un péché originel et qu’il ne saurait se développer dans les limites qui l’étreignent et l’étouffent. Ah ! si on lui donnait une conformation normale ! Si on lui permettait d’arriver jusqu’à Paris ! On pourrait en attendre des merveilles ! Eh bien, soit, a répondu la Compagnie d’Orléans, à laquelle