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on propose de racheter une compagnie de chemin de fer parce qu’elle est mal dans ses affaires, et qu’elle sera bientôt impuissante, on le prétend du moins, à payer sa dette envers l’État ; mais, si tout cela est vrai, ne sera-ce pas une triste opération que celui-ci fera, et en quoi la situation sera-t-elle modifiée parce qu’il en aura pris la charge ? Admettons, si l’on veut, que l’État administrera aussi bien que la Compagnie, il n’administrera pas mieux ; alors, où sera pour lui le bénéfice ? On comprendrait mieux qu’il rachetât une compagnie en pleine prospérité : cela lui coûterait plus cher, mais lui rapporterait davantage, et il n’aurait pas, pour commencer, à faire de gros emprunts. C’est ce qu’on sera obligé de faire si on rachète l’Ouest, et il ne sert à rien de dire que l’emprunt ne sera pas fait directement par l’État, mais bien par une administration dont on aperçoit encore mal les linéamens, et à laquelle on donnera une autonomie plus ou moins fictive : en fait, ce sera l’État qui empruntera ; seulement, pour masquer la chose, on fera un compte spécial, on rompra l’unité budgétaire qui a été une des œuvres les plus méritoires de la République nans ces avant-dernières années, et on rouvrira l’ère dangereuse des budgets extraordinaires. Le rachat de l’Ouest nous conduira tout de suite à cette conséquence : le rachat général, dont M. le ministre des Finances prend si aisément son parti, en aura de bien plus redoutables encore. Non seulement les compagnies de chemins de fer empruntent avec leur crédit à elles, qui laisse intact celui de l’État, mais leur indépendance relative, leur autonomie réelle dans des limites marquées d’avance, la souplesse plus grande de leur organisation leur permettent de s’adapter aussi économiquement que possible aux besoins variables des populations qu’elles desservent. Au contraire, qui dit État dit uniformité. L’administration de l’État conduira nécessairement à l’unité des tarifs, et le nivellement, on peut en être sûr, se fera par en bas au lieu de se faire par en haut, tandis que l’unité des traitemens se fera par en haut, au lieu de se faire par en bas. Quelle imprudence de s’imposer à soi-même ces obligations et ces charges, surtout dans un régime politique comme le nôtre ? Est-il besoin d’insister pour faire comprendre que les compagnies ont des moyens de défense qui manqueront à l’État ? Au surplus, ne connaît-on pas les résultats produits par les monopoles exercés par l’État, le tabac, les allumettes, le téléphone ? Ne sait-on pas ce qui se passe dans les arsenaux de la marine ? Les capacités industrielles que l’État a manifestées jusqu’ici sont-elles de nature à lui faire donner un monopole de plus, et celui-là gigantesque ? Le Sénat, conservateur