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de nos finances, défenseur de nos intérêts permanens, ne comprendra-t-il pas que son devoir est de s’opposer à une pareille aventure ? S’il en était ainsi, « il n’y aurait plus de Sénat… » Dans une péroraison éloquente, à laquelle son émotion donnait encore plus de force, M. Rouvier a adjuré M. Clemenceau de laisser à l’assemblée sa liberté, et de ne pas lui infliger ce qu’il a appelé une « humiliation. »

Mais M. Clemenceau a été intraitable. Il a renvoyé à la tribune M. Caillaux et M. Barthou ; il y est monté lui-même et, dans un discours décousu, heurté, saccadé, où il a parlé de tout, de l’ancien régime, de la Révolution et de ses causes, des progrès de l’enseignement primaire à travers les âges et de ceux du budget de l’instruction publique qui y correspondaient, du Second Empire, de Sedan, de l’accroissement de notre dette, déplorable résultat de nos défaites, etc., etc., il a mis impérieusement le marché à la main du Sénat. M. Clemenceau n’a pas discuté, il a ordonné. Quant à la Commission, elle a présenté une motion qui, tout en témoignant de sa confiance envers le gouvernement, l’invitait à reprendre les négociations avec les compagnies. Le succès de ces négociations ne faisait, dans sa pensée, aucun doute : toutefois il fallait assigner une limite après laquelle, si les compagnies n’avaient pas fait des concessions raisonnables, on reprendrait la discussion sur le rachat. La Commission proposait en conséquence que la suite du débat fût remise au premier jour de la session d’octobre. C’est là-dessus qu’on s’est compté. Il y a eu dans les couloirs du Sénat une effervescence extraordinaire lorsqu’on a appris que le gouvernement était battu par vingt-neuf voix : cette effervescence n’a pas diminué, mais elle s’est manifestée en sens inverse, lorsqu’on a su qu’après pointage la chance avait tourné et que le ministère avait trois voix de majorité. Le Sénat n’est pas habitué à des émotions aussi fortes, à des secousses aussi brusques ; tous les partis manifestaient bruyamment leurs impressions ; cependant, lorsque le résultat final a été connu et proclamé, les radicaux n’ont pas été plus d’une trentaine à applaudir ; les autres se sont tous résignés. On s’est empressé de voter, comme nous l’avons dit, l’article premier de la loi, et on a remis la suite au lendemain.

Le lendemain on a voté l’article 2 du projet de loi, mais après l’avoir quelque peu remanié. L’article premier pose le principe du rachat, l’article 2 en détermine sommairement les voies et moyens. Tout le monde reconnaît que le régime de l’exploitation du futur