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9 h. 50 après t’avoir dit adieu, à 10 h. 36 j’étais à Malines ; j’y voyais ce qui doit être vu : la cathédrale pour elle-même et l’église Saint-Jean pour un Triptyque de Rubens. Il est fort beau, je dis fort beau. Si je devais en rester là de Rubens, je dirais superbe, mais avec un pareil homme, il faut graduer son admiration, ne pas employer étourdiment les formules extrêmes et réserver pour l’imprévu les mots du dimanche. On risquerait de rester court quand il s’agit, comme ici, d’admirer tout à fait. Je quittais Malines à 1 h. 31, à 2 h. 16 j’étais à Anvers ; une heure après, nettoyé et installé à l’hôtel, j’allais à la cathédrale, même place que l’hôtel, saluer Rubens dans ce qu’il a vraiment de plus parfait. Je me méfiais un peu, pourquoi ? L’admiration publique est sujette à tant d’erreurs ! Cela dépasse mes espérances, et véritablement c’est admirable, tu peux m’en croire. J’y retournerai tout à l’heure, ce soir peut-être, demain certainement. J’y retournerai jusqu’à mon départ, et jusqu’à complète absorption.

Aujourd’hui, en outre, j’irai le voir à l’église Saint-Jacques, dans la chapelle de son tombeau et, si j’en ai le temps, au musée. Il règne ici partout avec une souveraineté éclatante, et je commence à croire qu’après lui, la Hollande me paraîtra, même avec Rembrandt, la patrie heureuse de l’art bourgeois, — un art incomparable aussi, mais de souche inférieure. — Nous verrons.

Comme je quittais la cathédrale, il pleuvait beaucoup, il ventait de l’Ouest avec rage. J’ai pris une vaste voiture à la Guignard (il n’y en a pas d’autres à Anvers), et je me suis fait conduire tout le long des quais de l’Escaut. Ceci n’était plus Paris, ni Bruxelles. Pleine Hollande, j’étais enchanté. Le soir à 7 heures, toujours même vent glacial, mais sans pluie, nouvelle course en voiture au même endroit, retour par les grands bassins, énormes, plus grands que le Havre, grands j’imagine, comme le grand port de la Joliette de Marseille.

… Me voilà tout seul, et je vais continuer de vivre tout seul, jusqu’à mon retour à Bruxelles, c’est-à-dire en pays de connaissance. Je n’ai plus l’occasion de dire un mot à aucun vivant. Si ma fatigue ancienne venait par hasard d’avoir trop parlé, je vais bien me reposer.

Je suis vivement intéressé par beaucoup de choses : par la peinture d’abord. Je griffonne pas mal de notes à tout moment,