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admirable... N’a-t-il pas perdu plutôt que gagné à trouver des moyens d’expression plus sa vans ? En devenant plus parfait, est-il devenu plus profond ? Enfin n’est-il pas sorti de ses voies juste au moment de son plein épanouissement ? C’est ridicule à dire, mais on voudrait qu’il eût acquis toute sa science en gardant toute son ingénuité ; qu’il fût abondant, plus ample, plus capable de seconder les imaginations les plus larges et les plus hautes ; plus souple pour servir aussi plus de tempéramens divers et revêtir plus d’idées ; et que cependant il eût encore la chaleur intime et profonde, la sincérité grave et recueillie des premiers âges, le trait plus honnête, l’observation plus timide et plus attentive, le travail plus rare, la matière plus belle. C’est l’éternelle histoire de la jeunesse. Jeunesse de tout, des races, des générations, des individus. On peut suivre ce mouvement de la floraison, puis de la décadence, du talent qui se cherche, puis s’affirme et de la grande pratique qui s’amuse, dans les œuvres de certains grands écrivains qui se gâtent. Et je n’irais pas loin pour en trouver l’exemple. Tel homme, dit-on, est plus fort aujourd’hui qu’il y a trente ans ? C’est vrai, il est beaucoup plus maître de son cerveau et de sa main. L’un s’est amplifié, l’autre s’est assouplie. Est-il bien plus fort ? et comme un homme ne compte que par ses œuvres, ses œuvres sont-elles meilleures ? et, quand dans l’avenir on cherchera parmi ce qu’il y a de plus digne de vivre, lira-t-on le plus étonnant ou le plus parfait ? le prendra-t-on au commencement ou à la fin du cycle ?

Le point où se rencontrent dans la vie des hommes, dans l’histoire d’un art, un certain amour des choses (que j’appellerais la peur du beau et du vrai), et le savoir, est un moment unique. Chez les maîtres, il est à moitié chemin. Dans les belles époques, il est aussi vers le milieu : de 1450 à 1550 en Italie. Ici de même dans l’ordre historique, dans l’ordre familier, le bon moment se prolonge un siècle au-delà.


A Madame Eugène Fromentin.


Anvers. Hôtel Saint-Antoine, ce samedi, 8 h. 1/2 du matin. Juillet 1875.

J’ai fait beaucoup de choses hier, chère amie, quoique, dans la soirée, le temps m’ait fort contrarié. Parti de Bruxelles à