pour Rubens m’arrive ici pour Rembrandt ; j’ai peur de lui et peur de moi. Seulement, avec Rubens, il dépassait de beaucoup sa renommée ; avec celui-ci, au premier abord, il me paraîtrait que c’est le contraire. J’ose à peine écrire un pareil blasphème, qui me couvrirait de ridicule s’il transpirait. Déjà, ce soir, j’y vois plus clair, et, sur certains points, il grandit.
Demain et après-demain, je le verrai encore et plus à fond ; reprendra-t-il son rang suprême ? J’en aurai le cœur net avant mon départ. Dans tous les cas, il y a entre cet art et mon faible cerveau un obstacle et un malentendu : la question n’est pas de savoir si l’homme est un grand artiste, original, presque unique, un très grand cerveau quand il rêve, imagine, invente, et s’appuie bien nettement sur sa sensibilité. La question est plus spéciale. Il s’agit de savoir s’il est plus grand ici dans ses œuvres si fameuses que dans les autres que nous possédons ou connaissons ; et de bien établir si, lorsqu’il n’est que praticien, c’est un très beau peintre, ou s’il n’a que certaines parties dominantes mais exclusives, étroites, d’un très beau peintre, et s’il n’en fait pas abus quelquefois, notamment ici. Quelqu’un se trompe de moi ou de tout le monde. Il est à croire que c’est moi, mais l’erreur des autres est facile à reconnaître et à démontrer : rien n’est plus malaisé que de mettre le doigt sur sa propre erreur et plus ennuyeux que d’en convenir.
Au fond, il n’y a d’intimidant dans ces deux pays que Rubens et Rembrandt. Le reste est bien instructif, bien charmant, souvent merveilleux. Mais si j’en excepte (cela c’est grave) un moment miraculeux, celui des Primitifs du XVe au XVIe siècle, le reste, dis-je, est relativement facile à regarder de plain-pied.
Je suis, cher, quoi qu’il arrive, très satisfait d’avoir fait ce voyage ; c’est bien à toi que je dois de l’avoir entrepris, et je te dis merci. Mon métier, je crois, n’en profitera guère : il y a un si vaste monde entre ce qu’ils faisaient et ce que nous tentons ! mais j’apprends, je m’instruis, je m’ouvre, je me meuble.
Je saurai quelque chose au retour ; en tirerai-je un livre ? Je n’ose encore dire oui, mais je le crois bien, la matière est si charmante ! Et si je tourne une ou deux difficultés que je t’expliquerai, si j’en trouve, non pas l’ordonnance (elle est nulle), mais le mode et le ton, si je sais être bonasse et fin, pas pédant et cependant très ferme, précis et clair, à mon retour, j’aurai les