Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rubens ne change pas. Il ne modifie pas son ton par un travail superficiel. Il le compose et le nuance résolument. Quand il le rompt, c’est de la couleur rompue ; quand il l’étouffe, c’est de la couleur sourde ; quand il le neutralise, c’est de la couleur neutre.


Rembrandt n’avait aucun esprit dans la touche. Il n’avait que du sentiment, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Il en résulte que, quand il ne travaillait que de la main, immanquablement il était inférieur à beaucoup de praticiens qui ne le valaient pas. Sa touche est lourde, embarrassée, revenue, reprise, comme un homme peu maître de sa langue qui la surchargerait de mots, faute de trouver le mot propre, et qui se dirait : dans le nombre, le mot juste finira bien par apparaître. Quelle différence avec Franz Hals, par exemple !

Quand il est ému, intime, profond, il est incomparable.

Voilà pourquoi ses beaux tableaux sont d’un grand artiste, ses eaux-fortes des chefs-d’œuvre, et ses œuvres de pratique des morceaux étonnans, mais bien contestables.


A Madame Eugène Fromentin.


Amsterdam, dimanche soir 10 heures. 18 juillet 1875.

J’aurai besoin de deux jours pour Gand et Bruges, et je te demanderai deux ou trois jours pour Bruxelles où, sans compter une ou deux obligations qui me saisiront, j’ai absolument besoin de revoir le Musée. Je l’ai bien vu, mais n’y ai pris que des notes plus qu’insuffisantes, et la partie historique, que je veux y revoir, exige un travail serré dont je m’aperçois maintenant. Je me suis ravisé depuis Anvers, et fais un beaucoup meilleur travail. J’ai visité ce matin (je te le disais, je crois) les deux galeries Six. Ce sont les descendans directs, divisés maintenant en deux branches, de l’ami de Rembrandt. L’une des branches habite encore la maison du bourgmestre, et les tableaux que j’ai vus là, admirables de choix, de conservation, de rareté pour la plupart, n’ont peut-être pas quitté les murs depuis deux cent cinquante ans. C’est fort curieux et fort beau. J’y ai passé toute la matinée et puis me vanter d’y avoir, sérieusement pioché et appris. Dans l’après-midi, visite au Musée, mais je commençais à n’y voir que d’un œil...