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qu’un jour un artiste de notre temps, très fanatiquement épris de Rubens, accablé de sa grandeur et de sa fertilité, de son ampleur, de sa force, épuisa toutes les hyperboles, et finit par s’écrier : « C’était un lapin ! » Ne pourrait-on pas dans le même vocabulaire trouver un mot qui convînt à Rembrandt, et dire de lui : C’était un malin !

Oui, quand il n’est pas très ému, très inquiet, très songeur, très nerveusement appliqué à rendre une nuance fugitive de sentiment humain, une idée profonde enveloppée, une rêverie d’illuminé, quand il regarde avec ses yeux, quand il est devant un morceau de nature, un peu grand, très simple, et qu’il invente alors une langue compliquée, presque sibyllique, pour le traduire, ne doutez pas qu’il ne ruse, et qu’il ne soit le praticien le plus roué qu’il y ait jamais eu...


Amsterdam[1].

Rembrandt. — Il y a certainement dans ses œuvres, notamment dans les Syndics, la plus belle, une ressemblance pour ainsi dire abstraite, et cependant une vie plus lointaine, plus intime, plus profonde et plus idéale en ses à peu près, même en ses inspirations, qui est supérieure à bien des réalistes et qui est la vie de l’art.

Rubens. — Il avait, comme on dit en musique, le registre le plus étendu, non pas le plus varié et le plus riche, Véronèse dans le médium est plus abondant en nuances diverses, mais il ne va ni si haut ni si bas, ni jusqu’au blanc ni jusqu’au noir. La palette de Rubens, si nuancée, si abondante en teintes fugitives, dans les couleurs principales, est réduite à peu de chose : noir-noir, gris, rouge, jaune. Rarement un bleu et blanc.

Pas d’œuvre plus sensible aux changemens de lumière que la Ronde de Nuit. Un jour trop coloré la jaunit à l’excès, trop blanc la durcit et l’obscurcit, trop éclatant la creuse et la dépouille.

C’est le propre de cette peinture transparente et forte. Toute peinture glacée en est là. C’est l’impalpable, et l’impalpable n’est pas et n’a qu’une existence trop relative.

C’est le principe même de la couleur, la substance de la matière colorée qui fait les coloristes.

Les coloristes à bases solides et simples résistent à la lumière.

  1. Note inédite, sans date, extraite des Carnets de voyage.