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encourageait, secourait, ceux qu’elle envoyait chaque année chercher fortune à Paris ; et, dans les concours universitaires, quand la liste des candidats heureux comprenait un Nîmois, son amour-propre local en était agréablement remué. Il a souvent, et fort joliment, parlé du patriotisme municipal chez les anciens : il éprouvait ce sentiment qu’il a si bien compris, et Nîmes était pour lui ce que Côme fut pour Pline le Jeune ou Cirtha pour Fronton. Ce Parisien n’était pas du tout un « déraciné. » Et ceci nous invite à regarder quelles furent ses racines.

M. Boissier appartenait, sans conteste et sans restriction, au Midi. Mais il y a bien des manières d’être Méridional, et la nature avait choisi pour lui l’une des plus spirituelles. Par exemple, les Méridionaux passent pour avoir un besoin invincible de s’épanouir en gestes et en paroles, de projeter au dehors leur personnalité débordante. Eh bien ! oui, sans doute, M. Boissier n’était point une âme méditative et solitaire. Il aimait la société, qui le lui rendait bien. Il aimait à parler, et il savait qu’il parlait brillamment : n’en eût-il pas eu conscience qu’il l’aurait lu dans les yeux de ses auditeurs, aussi attentifs, aussi entraînés quand ils l’écoutaient causer dans les allées de son jardin de Viroflay, que lorsqu’ils l’entendaient professer dans sa chaire du Collège de France. Même, il aimait à représenter ; et jusque dans ses dernières années, quand il s’asseyait dans son fauteuil académique, la fraîcheur de ses joues encadrée par la neige de ses favoris, l’habit vert triomphalement barré du grand cordon rouge, il ne lui déplaisait pas de sentir les regards de la foule attirés par sa vieillesse décorative. Oui, tout cela est vrai, mais tout cela se conciliait chez M. Boissier avec le sens le plus exquis de la pondération et de la mesure. Ce mondain, si recherché des salons et si flatté qu’on le recherchât, n’avait aucune peine à s’en arracher pour rentrer dans la studieuse paix de son cabinet de travail et s’absorber dans la besogne assidûment poursuivie. Ce causeur intarissable restait toujours maître de sa parole : jamais, parmi tant de libres confidences ou de savoureuses anecdotes, une seule imprudence ; jamais d’emportement inconsidéré ; jamais non plus de prolixité banale ; il détestait la déclamation. Et quant à la satisfaction qu’il semblait avoir de lui-même, elle était si éloignée de toute morgue ou de toute affectation, si gracieusement égayée par sa bonhomie souriante, qu’elle était en lui une dernière façon de se faire aimer.