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pensait de cette catégorie sociale. Dans le discours qu’il prononça, en 1895, au Centenaire de l’École normale, il notait, non sans fierté, que la plupart des normaliens étaient sortis de cette classe moyenne, exposée, disait-il, aux dédains de la noblesse et à l’envie des couches inférieures, mais laborieuse, saine, la vraie réserve de forces de la nation. On sentait dans cet hommage public une reconnaissance personnelle. M. Boissier était bourgeois, sans partialité ni étroitesse : comme homme, il savait rendre justice au rôle historique des grandes familles, et n’opposait aux aspirations populaires aucune dureté ; comme historien, il ne dénigrait pas les écrivains patriciens, pas plus qu’il ne méprisait Juvénal, poète des petites gens. Mais il restait fidèle aux habitudes héritées de sa famille. Sa vie, régulière, simple et digne, sans aventures, sans orages, remplie par les affections domestiques et par les devoirs professionnels ; ses opinions, modérées en toutes choses, également attachées à la règle et à la liberté, respectueuses de la tradition et accueillantes pour les nouveautés ; son intelligence précise, solide et méthodique ; son goût sage et fin ; son style même, sobre et ferme, autant éloigné des caprices aristocratiques que des audaces plébéiennes : tout faisait de lui un bourgeois et, par là, le rattachait à une longue lignée de bons écrivains français. Car n’est-il pas vrai que nos meilleurs écrivains, ceux en qui se reconnaît le mieux l’esprit de notre race, sont justement des fils de cette classe moyenne dont M. Boissier vantait si bien les mérites ? Montaigne, Boileau, Racine, La Fontaine, Voltaire, Musset, Sainte-Beuve, tous furent bourgeois par leur tour d’esprit comme par leur naissance. M. Boissier les admirait fort, comme il goûtait aussi ceux qu’on pourrait nommer les bourgeois de Rome, Horace, fils d’affranchi, Virgile, fils de propriétaire campagnard, Cicéron, chevalier de petite ville, ceux avec qui il se sentait naturellement de plain-pied.

Nous avons longuement insisté sur les premières influences subies par M. Boissier, parce qu’elles furent, croyons-nous, très profondes et très durables. Quant à son éducation proprement dite, elle fut, au collège de Nîmes, ce qu’était alors l’éducation de tous les jeunes gens distingués. Il reçut une instruction principalement littéraire, une de ces cultures d’humaniste à