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l’ancienne mode, dont le but était l’acquisition de la logique dans la pensée et de l’élégance dans l’expression, et dont les moyens étaient la pratique assidue de la composition et le commentaire minutieux des classiques grecs et latins. Il ne fut pas, pour cette formation intellectuelle, un fils ingrat : si, plus tard, il applaudit à certaines nouveautés pédagogiques, il ne se donna jamais l’air de dénigrer les vieilles méthodes ; il ne crut pas qu’une éducation fût manquée quand on avait appris à raisonner et à écrire convenablement. Au reste, un de ses professeurs de Nîmes, Germain, qui tranchait parmi ses collègues, lui donna le goût des études historiques : il lui en conserva toujours une vive reconnaissance.

A Sainte-Barbe, où il passa ensuite, son maître préféré fut Rinn, qui l’empêcha plus d’une fois de se décourager devant ses premiers échecs. Puis, en 1843, il entra à l’Ecole normale. Il y trouva une seconde patrie, pour laquelle il ne fut pas moins dévoué que pour sa ville natale. Il aimait à répéter qu’il lui devait tout, que là seulement il avait compris dans quel sens et selon quelles règles il lui fallait travailler. Il paya largement sa dette : maître de conférences à l’Ecole pendant près de quarante ans, président de l’Association de ses anciens élèves depuis 1883 jusqu’à la veille de sa mort, défenseur de son intégrité et de son indépendance quand elles parurent menacées, protecteur assidu de ceux qui venaient auprès de lui se réclamer de ce grand nom, il lui rendit sous toutes les formes ce qu’il en avait reçu. Il faut donc rechercher ce que put être en lui cette action de l’Ecole, dont il gardait conscience d’avoir été si intimement pénétré. C’est de 1843 à 1846 que M. Boissier habita les vieux bâtimens du Collège du Plessis, où l’Ecole était alors installée. Elle était dirigée par Dubois, le puissant et rude publiciste, Dubois au visage de lion, à la parole tourmentée, à l’esprit à la fois libéral et mystique, un des hommes les plus originaux que la Bretagne ait donnés à l’Université. Le sous-directeur des études littéraires était Vacherot, dont la bonté patriarcale ne louchait pas moins les élèves que sa profondeur métaphysique ne les remplissait d’admiration. Comme professeurs, pour les lettres anciennes, M. Boissier connut l’érudit helléniste Cartelier, Ernest Havet, Emile Deschanel, qui s’occupait alors de littérature grecque, et qui était aussi spirituel en parlant d’Aristophane qu’il le fut plus tard en parlant de Voltaire, les savans