Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

large et plus souple, ni qu’à ce jeu rapide de l’échange d’idées, sa finesse naturelle ne se soit encore aiguisée. C’est un bénéfice qu’en tout temps il aurait retiré de son séjour à l’Ecole ; mais en outre il fut heureusement servi par les circonstances. À cette date, en effet, l’Ecole était plus paisible qu’elle ne le fut plus tard. Elle était vue d’un œil favorable par le gouvernement de Louis-Philippe ; ses administrateurs régnaient avec une douceur paternelle ; ses professeurs, sans être d’accord sur tous les points, s’entendaient en un libéralisme tranquille ; ses élèves ne trouvaient dans les événemens politiques rien qui pût troubler leur sérénité. Il n’y avait point encore de ces discussions violentes, de ces guerres de conscience, qui éclatèrent après 1848, pas plus que cette oppression formaliste et sournoise qui étouffa si durement les promotions des premières années du Second Empire. Par là s’explique la différence qu’on peut saisir entre deux générations qui pourtant se suivent de bien près. Ceux dont la verve juvénile fut surexcitée par les luttes politiques ou violemment refrénée par un régime autoritaire, About, Sarcey, Taine, Challemel-Lacour, Prevost-Paradol, en gardèrent toujours quelque chose de combatif. Leurs prédécesseurs, arrivés à l’âge d’homme au milieu de la liberté et de la paix, n’eurent pas cette ardeur belliqueuse un peu tendue. Chez M. Boissier, notamment, on ne trouve nulle trace d’esprit contentieux, mais un sincère respect de toutes les opinions. Son aménité de caractère et sa modération de sentimens purent se développer sans peine dans cette atmosphère normalienne, où il vécut trois ans sans la voir troublée par aucune tempête.

Au sortir de l’Ecole, reçu agrégé, il fut envoyé comme professeur à Angoulême, puis, un an après, à Nîmes. Il y revint avec joie ; il y resta dix ans, et volontiers y serait resté davantage. Il y avait été bien accueilli à cause de ses relations de famille ; il y fut apprécié plus encore pour son zèle de professeur, son aisance de parole, et l’agrément de quelques travaux qu’il publia et qui lui ouvrirent les portes de l’Académie du Gard : première étape de la voie qui devait le conduire au Palais Mazarin. Ces travaux, improvisations aimables et superficielles, sans faire complètement pressentir le futur historien de Cicéron ou de la religion romaine, permettent néanmoins de voir un des traits de l’esprit de M. Boissier : la curiosité des écrivains même secondaires, le souci de ne rien dédaigner de ce