Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

latinistes Berger et Rinn. La littérature française était enseignée par Nisard, Jacquinet et Gérusez, la grammaire par Egger, la philosophie par Saisset et Jules Simon, l’histoire par Filon et Wallon. Il y avait là, comme on le voit, une extrême variété d’esprits, très profitable à l’éveil intellectuel d’un jeune homme tout frais arrivé de sa province. Nous ne savons pas quels furent, de tous ces maîtres, ceux qui contribuèrent le plus à former M. Boissier : peut-être pourrait-on le deviner. Il resta toute sa vie ébloui par le souvenir de l’éloquence prestigieuse de Jules Simon. Il ne dut certainement être insensible ni à l’agrément de Deschanel, ni à la formidable documentation d’Egger. Les causeries de Nisard, où une doctrine littéraire si ferme était exposée avec tant de bonne grâce, ne furent pas sans fortifier en lui le goût classique et pur auquel sa nature propre le prédisposait. Cependant, il est probable que ceux dont les leçons lui furent le plus efficaces furent Havet, Berger et Jacquinet. Tous trois, dans des domaines différens, et avec des qualités différentes aussi, appliquaient en somme la même méthode probe et précise. Les textes qu’ils commentaient ne leur étaient pas des occasions de faire briller leur virtuosité ou d’étaler leurs opinions personnelles : ils les étudiaient en eux-mêmes, les analysaient, les éclairaient par des rapprochemens topiques, y cherchaient des renseignemens sur l’âme de leurs auteurs ou sur les mœurs de l’époque ; bref, ils faisaient de la littérature une sorte de collaboratrice de l’histoire. C’était déjà, avec moins d’aisance et d’ingéniosité, ce que M. Boissier devait faire plus tard ; c’était pour lui, à cette date, une vraie révélation. Il avait jusqu’alors, de par sa première éducation, l’amour des lettres, mais le sens historique ne lui naquit réellement qu’à l’École normale.

C’est un lieu commun de dire qu’un normalien s’instruit autant par la fréquentation de ses camarades que par l’audition de ses maîtres. Là encore M. Boissier se trouva. en contact avec des gens fort différens les uns des autres. Dans la liste de ses condisciples, nous lisons des noms de futurs administrateurs comme Chappuis et Ouvré, de bons érudits de province comme Denis, Tivier, Duchesne, de critiques ingénieux comme Rigault, Deltour, Hatzfeld, Gandar, Jules Girard, de poètes délicats comme Campaux et Eugène Manuel. Il n’est pas douteux que dans le commerce quotidien avec des intelligences si diverses, sa compréhension des hommes et des choses ne soit devenue plus