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Le succès de ses thèses eut pour lui une conséquence fort heureuse. A vrai dire, ce ne fut pas celle qu’il avait escomptée. Il souhaitait d’entrer dans une faculté de province, du Midi de préférence, et d’y rester toute sa vie. Il y aurait certainement fait d’utile besogne : il aurait été, comme tel de ses camarades, Tivier, Campaux ou Duchesne, un de ces excellens professeurs de second plan, discrètement érudits et finement lettrés, qui maintenaient alors dans les grandes villes universitaires le goût des choses de l’esprit et des belles humanités. Dis aliter visum… Le ministre Rouland eut besoin de M. Boissier pour une chaire de rhétorique à Charlemagne, et, bon gré mal gré, le nouveau docteur dut devenir parisien. Il ne le regretta pas par la suite, et personne ne le regrettera non plus : sur un théâtre plus vaste, dans un milieu intellectuel d’activité plus intense, ses dons naturels devaient être stimulés, surexcités, et produire les belles œuvres qui peut-être n’auraient pas vu le jour dans l’uniforme tranquillité d’Aix ou de Montpellier. Il eut d’ailleurs la sagesse, et même la vertu, de ne pas se laisser détourner du travail personnel par les soins, très lourds et consciencieusement acceptés, d’une « grande rhétorique, » comme on disait alors. Justement l’Académie des Inscriptions venait de mettre au concours une étude sur la vie et les ouvrages de Varron : le sujet lui plut, il le traita, et son mémoire, couronné en 1859, devint en 1861 le premier en date de ses grands ouvrages.

Dans ce nouveau livre, comme dans ses thèses, il faisait preuve d’un réel courage : il s’attaquait, cette fois encore, à un auteur mal connu en France, peu classique, obscur par la tournure archaïque et bizarre de son style, obscur aussi parce qu’il ne nous est parvenu de la plupart de ses écrits que des fragmens épars, et plus obscurci peut-être qu’éclairci par les discussions élevées sur son compte parmi les sa vans d’outre-Rhin. M. Boissier aborda franchement la difficulté : il lut tout ce qui s’était accumulé sur le sujet, pendant deux siècles et demi, depuis Popma jusqu’à Ritschl ; il ne craignit pas de reprendre à son tour les questions controversées ; il se fit une opinion sur la date de tel ouvrage, sur l’attribution de tel fragment. Bref, de toutes ses œuvres, celle-ci est sans aucun doute la plus purement philologique. Pourtant, ce n’est pas une œuvre de simple érudition. Non seulement M. Boissier y expose avec une clarté toute française les résultats obtenus par les exégètes germaniques