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ou ceux auxquels il est lui-même arrivé, mais, de ces résultats partiels, il entreprend de donner la synthèse. « Le temps semble venu, dit-il dans son Introduction, de mettre à profit ces travaux de détail, de rassembler toutes ces lumières éparses pour apprécier d’une façon plus complète l’ensemble des œuvres de Varron et connaître l’homme tout entier. » De fait, une série de chapitres, aussi largement conçus que minutieusement étayés, font passer sous les yeux du lecteur Varron poète satirique, philosophe, grammairien, historien, théologien, éducateur, agronome ; et, dans tous les domaines où s’est exercée la prodigieuse activité de son héros, M. Boissier s’attache à découvrir ce qui en est, selon lui, la marque distinctive : l’alliance d’une érudition toute grecque avec une humeur positive et narquoise qui sent tout à fait le terroir romain. Son livre prend ainsi, en même temps qu’une remarquable unité, un intérêt biographique et en quelque sorte pittoresque : de toutes les analyses, commentaires et discussions, sort le portrait d’un homme. Ce portrait, à son tour, n’est point isolé, mais rattaché à tout le milieu ambiant : tel paragraphe, sur les Antiquités divines ou sur le Traité d’agriculture, est vraiment une investigation qui pénètre à fond les croyances ou les mœurs de la société du temps de César. Se servir des données de l’érudition pour faire revivre, soit un individu, soit une société, c’est déjà la méthode essentielle de M. Boissier. Et en même temps que son Varron annonce par là ses ouvrages ultérieurs, il les prépare encore en faisant connaître à l’auteur lui-même des faits dont il aura besoin plus tard. Quand il écrira Cicéron et ses amis, il se retrouvera en présence de bien des hommes et de bien des choses qu’il ignorerait sans Varron ; et, dans la Religion romaine, dans la Fin du paganisme, il utilisera fréquemment le souvenir de la théologie varronienne. Il n’est nullement exagéré de voir dans cet excellent ouvrage l’amorce de plus d’un livre futur.

En même temps que, par son Varron, M. Boissier s’imposait au public érudit, son enseignement l’illustrait dans tout le monde universitaire. Son professorat fut une des dates héroïques, non seulement dans l’histoire du lycée Charlemagne, mais dans celle de l’Université sous le Second Empire. Sa rhétorique était la préparation la plus efficace à l’École normale, et bon nombre de jeunes gens, engagés par la suite dans d’autres carrières, n’en conservaient pas moins l’impression éclatante que leur