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est ou non l’auteur des lettres qu’on lui attribue, et notamment de la fameuse lettre à Cicéron, tant admirée de Fénelon, en réalité si déclamatoire ; et, enfin, on ne peut se prononcer sur l’authenticité de ces lettres sans en avoir minutieusement examiné toutes les allusions aux faits contemporains et toutes les particularités de langage, si bien qu’en dernière analyse, il faut s’être enfoncé dans les plus épaisses broussailles de la chronologie et de la philologie pour avoir le droit de professer une opinion sur le rôle de Brutus. De même, il n’est pas indifférent de savoir, d’après une remarque de scoliaste, que tel hémistiche de l’Énéide reproduit textuellement une. formule du rituel national : un rapprochement de ce genre en dit plus long que les plus belles dissertations sur le caractère patriotique de l’épopée virgilienne. De même enfin, l’idée qu’on se fait de Juvénal n’est pas la même si l’on regarde ses satires comme des attaques audacieuses contre les personnes de son temps ou si on s’avise que tel des individus qu’il a le plus maltraités est un grand seigneur mort depuis cinquante ans. M. Boissier, à propos de ce dernier, se moque agréablement des commentateurs qui admirent beaucoup la brusque apostrophe du poète, faute de pouvoir l’expliquer : il s’est attaché, pour son propre compte, à mériter le moins possible un pareil reproche. Il s’est entouré de tous les secours nécessaires pour savoir l’authenticité, la date, les circonstances, la portée des différens ouvrages dont il avait à se servir, et jusqu’au sens de chaque vers ou de chaque phrase. Il a d’ailleurs montré à plusieurs reprises qu’il aurait pu faire par lui-même cette besogne de philologue. Sans parler de son Varron, ses Recherches sur la manière dont furent publiées les lettres de Cicéron, ses articles sur Commodien et sur Sedulius, divers opuscules répandus dans la Revue de philologie et le Journal des Savans, ont mis hors de doute son habileté à traiter les problèmes les plus minutieux de l’érudition. Dès lors, ayant prouvé sa compétence, il avait le droit de s’en rapporter, sur les autres questions, aux résultats obtenus par les spécialistes dans des travaux qu’il n’avait pas faits lui-même, mais qu’il était capable d’apprécier, puisqu’il était apte à les refaire. C’est le cas de rappeler la comparaison de Brunetière à propos de Taine : « Exige-t-on de l’architecte qu’il soit aussi le maçon de son œuvre ? Non, sans doute, mais il suffit qu’au besoin il ne soit pas incapable de l’être. » M. Boissier a taillé quelques pierres de ses propres