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d’Artaxerxès soit ou non plus longue que sa main gauche, cela est peu de chose ! Et pourtant ! supposez que cette particularité permette un jour d’identifier une statue de ce roi ; supposez que cette statue soit accompagnée d’une inscription, qui elle-même apporte quelque date nouvelle, quelque donnée inédite, sur l’histoire du peuple hébreu, par exemple : voyez-vous comment les études d’histoire religieuse, les plus importantes peut-être, risquent d’être transformées grâce à la science d’Hermagoras ? » C’est ainsi que M. Boissier se distinguait également de ceux qui méprisent les vétilles philologiques ou archéologiques et de ceux qui les cultivent sans rien voir au-delà Lui-même a toujours eu un art merveilleux d’appuyer l’idée sur le fait et de vivifier le fait par l’idée. La belle formule que nous empruntions tout à l’heure à la Cité antique pourrait ouvrir la Religion romaine ou la Fin du paganisme : là aussi l’érudition est une auxiliaire de la psychologie.

Cette psychologie se présente à nous, dans les ouvrages de M. Boissier, sous plusieurs formes, et, si l’on peut dire, à plusieurs étages. Il y a d’abord la psychologie individuelle, ou, pour employer la métaphore illustrée par Sainte-Beuve, la « peinture de portraits, » N’est-ce pas à Sainte-Beuve en effet que font songer tant d’esquisses, d’un relief si net et d’une couleur si franche, où se dessinent les physionomies d’écrivains et d’hommes d’Etat romains ? En particulier, M. Boissier semble se rattacher à la méthode des Portraits littéraires par deux habitudes, excellentes l’une et l’autre. D’abord, comme Sainte-Beuve, il veut voir le personnage vrai, non drapé dans une attitude de décorum officiel, mais sincère, intime, en quelque sorte déshabillé. Aussi court-il aux documens qui peuvent le lui révéler tel : il préfère les lettres de Cicéron à ses discours, et les satires d’Horace à ses odes. Et quand, par malheur, il n’a devant lui que des œuvres composées à dessein pour la publicité, du moins il cherche à lire à travers les lignes : il n’est dupe ni des belles phrases ni des gestes théâtraux ; il pénètre jusqu’au secret des âmes, et le vers lucrétien, eripitur persona, manet res, pourrait être une des devises de son investigation. Il se rapproche encore de Sainte-Beuve en ce qu’il excelle à analyser les caractères les plus complexes. Non que les simples, les absolus, les passionnés, le mettent en défaut ; il sait donner d’un Caton ou d’un Tertullien des images qui ne soient point inégales à la violence