société du temps, avec ses grandeurs et ses faiblesses, ses vertus et ses ridicules. Étudier les lettres de Mme de Sévigné, c’était donc à la fois faire le portrait d’une âme individuelle et le tableau de l’état moral d’une époque : or on sait combien M. Boissier était passé maître dans ces deux sortes de descriptions psychologiques ; il n’avait qu’à transporter dans la France du XVIIe siècle la méthode qui l’avait si bien aidé à ressusciter la Rome de Cicéron. C’est en effet ainsi qu’il comprit sa tâche. Son livre s’ouvre par une esquisse finement nuancée de Mme de Sévigné, de sa personne physique, intellectuelle, morale, esquisse où le peintre a su se défendre de toute complaisance passionnée pour son modèle. Il subit sans doute le charme de cette aimable femme, mais pas au point de dissimuler ses imperfections ; il voit les défauts de son visage ; il ne cache pas sa légère coquetterie, ni la froideur de sa complexion, bien qu’il sache ce qu’une telle constatation peut avoir de désobligeant : « Une femme n’aime pas à entendre dire qu’elle n’a été vertueuse que par tempérament ; peut-être même en est-il qui préféreraient qu’on les crût un peu coupables. » L’épigramme est jolie ; elle donne une idée de l’aisance spirituelle avec laquelle M. Boissier entre dans les détails de la vie privée de son héroïne. Après « la femme, » il étudie « l’écrivain, » mais en se plaçant au point de vue historique, et non proprement littéraire. Il recherche comment s’est formé ce style tout ensemble si sûr et si naturel, note l’influence qu’ont pu avoir sur Mme de Sévigné ses premiers maîtres, ses lectures, ses fréquentations mondaines, explique, en un mot, plutôt qu’il ne vante, même ce qu’il admire le plus. Enfin il arrive à « l’œuvre, » et, comme on peut s’y attendre, il annonce l’intention de traiter ces lettres « comme de véritables documens historiques, » mais non pas pour y chercher des événemens inédits : l’histoire qu’il veut faire est celle des mœurs. « Figurons-nous que nous venons de lire sa correspondance entière, et que, le livre fermé, revenant sur nos souvenirs, nous nous demandons quelle idée elle nous donne des gens qu’elle a connus, en quoi cette société est semblable à la nôtre et en quoi elle en diffère. » À vrai dire, il insiste plus sur le second point que sur le premier. En retraçant la vie des contemporains de Louis XIV dans leur famille, aux eaux, à la campagne, en scrutant leurs opinions monarchiques et leurs croyances religieuses, il s’applique surtout à faire ressortir ce qui sépare leur manière
Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/314
Apparence