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M. Boissier à l’histoire des lettres françaises, apport vraiment précieux par la qualité, sinon par l’étendue. M. Boissier ne s’en est du reste pas tenu là ; les circonstances l’ont amené à s’occuper encore, sous une autre forme, de littérature moderne.

En 1876, l’Académie française perdit un de ses membres les plus vénérables, Patin, professeur de Sorbonne, auteur des Tragiques grecs et des Études sur la poésie latine. M. Boissier fut appelé par 23 voix contre 9 au fauteuil de son ancien maître[1]. Il le connaissait bien, il en par la bien aussi. Il reconnut vite que la vie de son prédécesseur, tout unie, n’offrait pas matière à de grands effets d’éloquence : « Les gens sages, comme les peuples heureux, n’ont pas d’histoire. » Il prit donc le parti de dépeindre Patin comme Patin avait vécu, très simplement. En analysant ses ouvrages, il insista principalement sur les qualités qu’il possédait lui-même. Quand il le loua d’avoir appliqué aux littératures anciennes la solide méthode historique inaugurée par Villemain, en replaçant les œuvres poétiques dans leur milieu politique et social ; quand il le félicita d’avoir lancé dans la circulation bon nombre d’idées neuves et fines, dont l’originalité était devenue moins saisissable par leur succès même, comme celle de ces mots d’esprit dont les gens du monde, à force de les répéter, finissent par se croire les auteurs ; quand il célébra son goût élargi par l’histoire, capable de comprendre Eschyle aussi bien que Sophocle, et Ennius aussi bien que Virgile, les auditeurs durent penser qu’il méritait, autant et plus que Patin, les éloges qu’il lui décernait. Et n’est-ce pas une véritable profession de foi que cette définition de la méthode de son devancier ? « M. Patin ne pensait pas comme tant d’autres que la littérature et la science s’embarrassent mutuellement et qu’il convient de les séparer ; il croyait au contraire qu’en s’unissant ensemble, elles peuvent se rendre beaucoup de services. Le vif sentiment des beautés littéraires, un goût juste, éveillé, délicat, empêchent un érudit de dire beaucoup de sottises ; et, de son côté, un littérateur se trouve bien d’avoir des informations exactes et de connaître à fond les choses dont il parle. » On ne peut pas dire que M. Boissier prête ici à Patin ses propres opinions, car c’étaient bien aussi celles du vieux doyen de Sorbonne, mais il est clair que dans la netteté et la force qu’il met à les

  1. Il avait été déjà candidat aux fauteuils de Saint-Marc Girardin et de Jules Janin, et il avait vu élire avant lui M. Mézières et John Lemoinne.