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formuler se trahit l’accent d’une déclaration personnelle. Il ne s’oublie pas non plus en retraçant la biographie de Patin : on peut lui appliquer à lui-même la louange qu’il donne à son devancier, d’avoir fui la politique et de n’avoir voulu être « qu’un savant et un lettré ; » on peut penser aussi qu’il plaide pro domo sua dans la jolie page où il rappelle les honneurs accumulés sur la tête du docte humaniste, et où il proclame que, s’il est beau de voir les âmes héroïques aux prises avec la mauvaise fortune, il n’est pas inutile, pour l’exemple, que, de temps en temps, les faveurs du sort aillent aux gens de vie simple et de sérieux labeur. Il légitimait ainsi toutes les distinctions qu’il avait déjà reçues, toutes celles qu’il devait recevoir par la suite, et qui d’ailleurs furent pour lui des occasions de travail plus que des satisfactions de vanité : nul n’a mieux appliqué le principe des anciens, que tout honneur est une charge, nemo honoratus nisi oneratus. Bref, dans ce discours de réception, si M. Boissier dépeint très bien celui qu’il remplace, il se dépeint encore mieux lui-même, et c’est ce qui en fait pour nous le principal intérêt,

L’Académie, disait Voltaire, est une maîtresse contre laquelle les gens de lettres font des chansons jusqu’à ce qu’ils la possèdent, et qu’ils négligent dès qu’ils ont obtenu ses faveurs : M. Boissier, qui ne l’avait pas chansonnée avant, ne la délaissa point après. Il fut un académicien exemplaire par le zèle, la ponctualité, la fierté, la joie même, qu’il apporta à cette tâche. Les anciens élèves de l’École normale n’ont pas oublié avec quel air de robuste allégresse il leur racontait chaque semaine les choses académiques. Toutes les séances, jusqu’à celles du Dictionnaire, lui paraissaient amusantes : il prétendit même publiquement qu’elles étaient amusantes pour tout le monde, que Labiche, par exemple, y prenait le plus vif intérêt. Sa réponse au discours de réception de M. Ernest Lavisse, à laquelle nous empruntons cette réflexion, contient des passages fort remarquables, de lumineuses analyses des ouvrages de M. Lavisse sur l’histoire d’Allemagne, notamment, à propos de la Jeunesse du Grand Frédéric, un portrait du Roi-Sergent étincelant de vie et de couleur. Cette harangue le cède pourtant à celle qu’il prononça l’année suivante, en 1894, en recevant Challemel-Lacour, successeur de Renan. Challemel, sous prétexte de franchise, avait rudement traité Renan : classique au goût étroit, philosophe cartésien,